Steaua-Dinamo n’est pas le seul derby de Roumanie, mais il est incontestablement le plus important. Les deux équipes sont les plus titrées du pays, et sont celles qui comptent le plus de supporters. Ce derby déchaîne donc les passions deux fois par an, le seul qui compte pour les supporters des deux équipes. Loin devant les Steaua-Rapid ou Dinamo-Rapid. Ce qui en fait un match à part, avec une riche histoire, dont un nouvel épisode aura lieu demain.
A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la Roumanie connaît un grand bouleversement politique avec l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste. Comme dans les autres pays de l’Est, le nouveau pouvoir a voulu changer tout ce qui existait, à l’image de ce qui s’est déroulé en URSS entre 1917 et 1921. Le monde du sport n’y a évidemment pas échappé. A l’image de la société, où les industries ont disparu peu à peu et où tous les biens ont été confisqués, plusieurs équipes ont commencé à disparaître. Ce sont principalement des équipes professionnelles et celles détenues par de grands patrons qui disparaissent. Le Ripensia Timişoara, 4 fois champion de Roumanie, l’Unirea Tricolor de Bucarest, une fois champion, le Venus Bucarest, 8 fois champion, le Carmen Bucarest, desitué alors qu’il venait de terminer le championnat en deuxième position, le FC Craiova, champion officieux durant la guerre (il n’y a pas eu de championnat officiel)… tous ont été supprimés de la carte par le pouvoir. D’autres clubs ont eu plus de chance, comme l’UTA Arad, détenu par le baron Neumann. Puissant industriel, ce dernier a vu tous ses biens confisqués, y compris son club, passé dans le patrimoine de l’Etat.
Toujours selon le modèle communiste soviétique, de nouvelles équipes ont alors été fondées: des équipes étudiantes, ouvrières, ministérielles… Et comme dans les autres pays de l’Est, deux noms sont en tête d’affiche: les équipes du Ministère de la Défense et de l’Intérieur. Dynamo-CSKA en Russie et en Ukraine, Levski-CSKA en Bulgarie, Etoile Rouge-Partizan en Yougoslavie, et donc Steaua-Dinamo en Roumanie. D’autres équipes font leur apparition entre 1946 et 1950: Universitatea Craiova, Dinamo Piteşti, Steagul Roşu Braşov (qui, créé en 1937, connaît alors le même changement que l’UTA Arad). Même le Rapid, créé en 1923 mais devenu professionnel durant le guerre, n’échappe pas à la métamorphose.
De ces équipes créées après guerre, trois profitent d’un certain favoritisme de la part du Parti et sont directement inscrites en première division. Il s’agit de l’UTA, du Dinamo et de Steaua. Les autres démarrent elles de manière normale du dernier échelon. La rivalité entre les deux équipes bucarestoises commence alors.
Bénéficiant de fonds provenant des ministères, des grades militaires offerts aux sportifs, qui augmentaient leurs revenus, mais aussi de conditions propices aux performances, ces deux équipes réussissent rapidement à attirer les meilleurs joueurs du pays. Et ce dans tous les sports, ces clubs étant fondamentalement omnisports. Le CCA (Casa Centrală a Armatei – la Maison Centrale de l’Armée), futur Steaua, connaît alors une décennie exceptionnelle, remportant 6 fois le championnat et 5 fois la Coupe de Roumanie entre 1951 et 1961. Le Dinamo prend ensuite la relève, avec le titre en 1962, 63, 64 et 1965.
Et ainsi de suite jusqu’en 1989. Les deux grands trustent les titres. Certaines équipes parviennent à remporter quelques titres grâce à des générations d’exceptions, comme Arad en 1950 et 54 puis 1969 et 70, le Petrolul Ploieşti en 1958, 59 et 1966 ou l’Universitatea Craiova en 1974 puis 1980 et 81, mais aucune d’elles ne tient au niveau des deux leaders bucarestois.
Valentin au milieu de ses joueurs, dont Dan Petrescu à sa gauche.
Cette situation fait rapidement progresser la rivalité entre les deux clubs. Et aujourd’hui encore les accusations pleuvent d’un côté comme de l’autre. Les Dinamovişti accusent Steaua d’avoir été favorisée par la famille Ceauşescu lorsque le fils Valentin (photo) était à la tête de l’équipe. Ce à quoi Valentin a toujours répondu qu’il s’était impliqué dans le club pour qu’il ne soit pas volé par le Dinamo, que son téléphone était toujours sur écoute par la Securitate et que le Dinamo faisait tout son possible pour faire capoter les transferts. Dans une interview réalisée il y a qualques temps par un journal sportf roumain, Valentin Ceauşescu expliquait: «Je suis supporters de Steaua depuis que suis petit et j’ai voulu protéger cette équipe pour qu’elle ne connaisse pas le sort de Craiova, qui a été détruite par le Dinamo.» La principale accusation encore adressée au Dinamo est que le club s’offrait systématiquement les grâces des arbitres, grâce à la pression mise sur eux par la Securitate. En face, Mircea Lucescu, entraîneur du Dinamo dans les années 80, celui qui a formé l’une des plus belles générations du club, a toujours affirmé que Valentin lui avait proposé de partir à l’étranger, le Dinamo étant devenu l’égal de Steaua.
Est-ce vrai? Est-ce faux? Impossible de le savoir. Mais il est incontestable qu’il fallait avoir le soutien des dirigeants du Parti pour être une équipe de tête dans les années 80. Steaua avait ce soutien, le Dinamo aussi, et même l’U Craiova, grâce à Ştefan Andrei, Ministre des Affaires étrangères. Sans ce soutien, impossible de garder les meilleurs joueurs.
Les années 80 sont la période où les clubs roumains ont réalisé leurs plus grandes performances sur la scène européenne. Craiova a ouvert la voie avec un quart de finale de C1 en 1982 puis une demi-finale de C3 l’année suivante. Le Dinamo suit dès 1982 avec une demi-finale de C1, après avoir éliminé le tenant du titre hambourgeois. On connaît la suite, avec le titre de Steaua en 1986 en C1 puis en Supercoupe d’Europe, et la finale de C1 perdue en 1989. Comment est-on arrivé à de telles performances? En regroupant les meilleurs joueurs dans ces trois clubs.
Craiova a tout d’abord formé une grande génération de joueurs formés au club ou arrivés très jeunes. Deux hommes ont joué un rôle important à ce moment: Ştefan Andrei et Adrian Paunescu, un écrivain membre du Parti. Deux proches de Nicolae Ceauşescu. Une troisième personne a eu une importance majeure, il s’agit de Corneliu Andrei Stroe, un manager d’exception, qui est resté en poste jusqu’à ce que Ceauşescu en personne lui interdise toute implication dans le football. L’équipe de Craiova s’est alors immédiatement effondrée.
Les clubs bucarestois ont alors pris les devants de la scène, et ce jusqu’à la fin de la période communiste. Le Dinamo bénéficie du soutien du Ministère de l’Intérieur et de Tudor Postelnicu, le chef de la Securitate. Mais il bénéficie surtout d’un groupe de joueurs talentueux, parmi lesquels on trouve Moraru, Rednic, Andone, Mulţescu, Ţâlnăr, Augustin ou Orac. Steaua bénéficie de son côté toujours du soutien de Valentin Ceauşescu, mais surtout du talent d’un ancien joueur devenu manager: Ion Alecsandrescu. C’est en grande partie à lui que le club doit ses plus grandes réussites internationales.
Mais ces clubs bénéficiaient d’un avantage supplémentaire, le professionnalisme masqué. Comme le veut le système communiste, le football est amateur, du moins sur le papier. Car dans les faits, chaque club bénéficie d’atouts plus ou moins importants pour attirer les meilleurs joueurs. Craiova leur offre la possibilité d’étudier dans l’une des meilleures universités du pays, dont ils sortiront en règle générale fonctionnaire de l’Etat à des postes bien payés. Steaua et le Dinamo offrent eux des grades militaires. On voit alors arriver au bout de quelques années des économistes ne connaissant rien au domaine et des officiers n’ayant reçu aucune seconde d’instruction.
Toutes les équipes utilisent également des systèmes de primes et d’indemnisations. D’où vient l’argent? Dans le cas de Steaua, il provient de l’Etat, l’amrée allouant une partie de son budget au fonds Steaua. Un avantage indéniable lorsqu’il s’agit d’attirer des joueurs. La concurrence est déloyale, surtout lorsqu’on sait qu’un club pouvait faire venir un joueur sans payer d’indemnité à son club! On donnait en retour des joueurs indésirables ou à former, des équipements, des ballons…
Les grands clubs ont trouvé à partir des années 70 un nouveau moyen d’élargir leur influence, avec les équipes satellites. Le Dinamo avait ouvert le voie très tôt avec le Dinamo Piteşti, puis avec le Victoria Bucarest et le Flăcără Mioveni. Steaua était plus discret, mais s’appuyait tout de même sur le FC Olt Scorniceşti, l’équipe, aujourd’hui disparue, du village de naissance de Nicolae Ceauşescu. Ces équipes satellites ont eu des évolutions fulgurantes, arrivant en première division et même en coupes européennes pour certaines.
Pour revenir au duel Steaua-Dinamo, la rivalité entre les deux clubs atteint son paroxysme dans les années 80. La finale de Coupe de Roumanie 1988 est le point culminant de cette rivalité. En fin de match, un but de Steaua est annulé pour hors-jeu. Il se dit que le juge de touche aurait levé son drapeau tardivement sous la pression du banc dinamovist. Steaua quitte le terrain. Le match ne reprendra pas. Le score est de 1-1, et les joueurs du Dinamo vont eux-même chercher la coupe sur le bord du terrain. Le titre sera pourtant accordé à Steaua par Nicolae Ceauşescu lui-même. Une tache indélébile sur le blason du club. Celui-ci renoncera d’ailleurs à ce titre dès la chute du communisme.
Le but refusé à Gabi Balint en fin de match. A chacun de se faire une opinion.
L’année suivante, la tension est encore vive entre les deux ministères. Et lors du match remporté par Steaua à domicile, Ioan Andone applaudit ironiquement en direction de la tribune officielle, où est assit Valentin. L’image est restée gravée dans l’histoire du championnat. Comme souvent, ce fut un match tendu, avec de nombreux cartons jaunes, deux joueurs du Dinamo expulsés, des buts refusés… Un nouveau match où le rivalité entre les deux ministères dépassait le cadre du sport. Il existait bien cette rivalité sportive, entre d’excellents joueurs cherchant chacun à montrer qu’il est le meilleur. Mais il y a surtout la rivalité politique entre les généraux des deux ministères, une rivalité exacerbée par les paroles et surtout les pratiques douteuses. Les deux matchs cités plus haut sont les exemples parfaits de cette rivalité, qui a finalement pris le pas sur le duel entre joueurs.
Les épisodes de ce genre sont nombreux. Le titre remporté par le Dinamo en 1973 reste aujourd’hui encore considéré comme douteux. Il est en effet acquis à la dernière journée. Lors de cette journée, Craiova perd face à l’UTA Arad alors que le Dinamo gagne son match par 4 buts d’écart, soit exactement la différence nécessaire pour terminer devant Craiova à la différence de buts. L’histoire se répète l’année suivante. Le Dinamo gagne en effet son dernier match 7-0 face au FC Argeş. Mais cette fois-ci, Craiova arrive à prendre le point nécessaire sur le terrain du Petrolul Ploieşti pour être championne.
De son côté, Steaua remporte le titre en 1988 d’une manière également douteuse. Lors d’un match contre le FC Bihor, Steaua est menée 2-1 à la pause, mais l’emporte finalement 3-2, après un but de Balint marqué à la… 105e minute! Mateianu, l’entraîneur de l’équipe d’Oradea, a toujours dit qu’il avait reçu d’immenses pressions de la part de Bucarest ce soir-là, recevant même un coup de téléphone à la mi-temps. Il n’a pas voulu s’y plier. Les 15 minutes d’arrêt de jeu auront raison de sa volonté…
Si la période communiste a été bien sombre pour le football, il n’a pas empêché ce duel d’être le plus grand match de la saison. Car au-delà des manipulations faites en coulisses, ce match est grandit par la rivalité entre joueurs et supporters des deux clubs. Entre les joueurs, parce qu’ils ont souvent été les plus talentueux du pays. Entre les supporters, car se sont les deux clubs les plus suivis du pays. Malheureusement, des suspicions planent toujours entre les deux clubs. De suspicions venues du passé, de liens étranges avec certains arbitres ou certains autres clubs, notamment du côté du Dinamo. Mais ces doutes sont en baisse depuis quelques saisons et tendent à disparaître. Seuls les médias sont toujours prompts à provoquer des polémiques. Le match de samedi est d’ailleurs déjà commencé depuis un moment dans les journaux. Tout est passé au crible: le choix de l‘arbitre (Deaconu), la situation critique de Steaua, le petit jeu proposé par le Dinamo, l’arrivée de Munteanu, les paroles de Becali, celles de Borcea… La rivalité est bien là, le match risque d’être chaud. Du moins sur le terrain, parce cette année, les supporters de Steaua n’ont pas été conviés à venir à Ştefan cel Mare.
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très bon article,Pj reste à savoir le résultat final de ce bouillant derby…..aller une victoire du Steaua! Munteanu commencera alors bien son mandat.