Et si Ceauşescu avait vécu plus longtemps?

ceausescu.jpgLa découverte est récente et très intéressante. Le 11 octobre 1989, la Roumanie est battue 3-0 au Danemark, lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde 1990. Après avoir battu la Grèce et la Bulgarie, la Roumanie mettait ainsi en péril sa présence en Italie. Mais au-delà de ce pur aspect sportif, cette défaite a faillit avoir, les archives viennent de le révéler, des conséquences lourdes et inattendues. En effet, loin de se préoccuper de sa chute proche, Nicolae Ceauşescu n’a que très peu apprécié ce résultat. Les sténogrammes issus des archives montrent sa colère, jusqu’à quel point il a pensé punir ses joueurs, mais aussi, et surtout, tout ce qu’il savait sur les coulisses du championnat national.

Les trois documents ci-dessous sont un extrait des sténogrammes de la séance du Comité Politique Exécutif du Comité Central du PCR, datés du 12 octobre, soit le lendemain de la défaite de Copenhague. Ces documents, retrouvés par des chercheurs de la Faculté d’Histoire de Bucarest au sein des archives de l’ancien parti communiste, reproduisent les discussions qui ont eu lieu lors de cette séance.

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Nous sommes alors fin 89. L’Europe de l’Est est sur le point de basculer du côté occidental. Les régimes communistes n’ont plus que quelques mois à vivre. Même en Roumanie, où il est pourtant toujours l’un des plus durs, si ce n’est le plus dur. Pendant que les dirigeants tchèques ou polonais lâchaient du lest, Ceauşescu continuait de durcir sa politique. L’ordre du jour de la réunion du 12 octobre 1989 concerne justement une question extrêmement sensible: la situation économique du pays, la convocation de la séance plénière du CC du PCR, celle de la Grande Réunion Nationale, ainsi que divers problèmes internationaux.

Fidèle à lui-même, c’est-à-dire totalement imprévisible, Nicolae Ceauşescu ouvre pourtant la séance sur l’échec de la sélection nationale au Danemark. Son désir de s’impliquer sur ce point alors que s’accentuait la dissolution du communisme en Europe de l’Est montre à quel point il était sûr de l’avenir de son régime. N’est-il pas parti en Lybie, sûr de son fait, deux jours seulement avant les événements qui conduiront à sa chute le 25 décembre?

Les dialogues, reproduits dans les sténogrammes – que je vous traduis ci-dessous – montrent que Ceauşescu, sous le coup de la colère, désirait dissoudre les deux plus grands clubs du pays: Steaua et le Dinamo! Rien de moins! Une solution radicale pour punir les clubs dont venaient la majorité des internationaux, et en réaction aux pressions que le Dinamo faisait, c’est ce qu’il affirme ici, sur les arbitres afin de remporter les matchs. Des affirmations qui confirment ce qui se dit depuis si longtemps sur les agissements des dirigeants du club du Ministère de l’Intérieur.

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Nicolae Ceauşescu : Vous avez vu hier ce qui s’est passé lors du match de football?!

Constantin Dăscălescu (Premier Ministre) : Purement et simplement un manque d’organisation.

Elena Ceauşescu : Dans tous les cas, ce ne sont pas les affaires d’un membre du gouvernement. Ils ont très mal joué.

Nicolae Ceauşescu : Le gouvernement a lui aussi une responsabilité. Le gouvernement répond du sport comme de la culture. C’est la loi ! Fallait-il y aller pour se faire rosser 3-0 ?!

Elena Ceauşescu : En tout cas, ils nous ont fait honte.

Nicolae Ceauşescu : J’ai dit à Bobu que si ici (lors du match retour, à Bucarest, NDT), ils ne remportaient pas les deux points (la victoire valant deux points à l’époque), nous dissoudrons purement et simplement les clubs qui ont donné les joueurs à l’équipe nationale. Communiquez-le à ceux de l’Intérieur – je le leur ai dit au téléphone – l’armée est ici aussi ? Elle y avait aussi des joueurs.

Silviu Curticeanu (chef de la Section Chancellerie) : Le camarade Milea (Vasile Milea, Ministre de la Défense) n’est pas présent à la séance, il est à Buzău, pour les élections.

Nicolae Ceauşescu : Il l’entendra. Je le répète, nous dissoudrons tous les clubs qui ont donné des joueurs si nous ne gagnons pas ici.

Elena Ceauşescu : L’Armée n’a donné qu’un seul joueur. Un était de l’Universitatea, et le reste venaient du Dinamo.

Nicolae Ceauşescu : Et c’est ça qu’on apprend à l’Intérieur ?! (…) Ils ne savent tout simplement pas se défendre. Ils ont appris à gagner chez eux avec 5 ou 6 buts d’écart, mais ils ne font rien à l’extérieur. On n’apprend pas le football pour donner quelque chose à l’arbitre !
(…) Ce n’est pas possible ! On peut perdre, mais là, ils ont été honteux, ils n’ont pas joué. Ils n’ont pas été battus, ils n’ont pas joué. Ce n’est pas possible !
Ce n’est pas dans l’ordre du jour, mais il ne faut pas croire que ce sont des paroles en l’air, il faut en tirer des enseignements. Ce n’est pas un point à l’ordre du jour, mais il nous faut prendre des mesures pour mettre fin à cette situation, mettre de l’ordre parce que cela ne peut pas continuer comme ça !

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L’équipe vaincue à Copenhague était la suivante: Lung (Steaua) – Şt. Iovan (Steaua), M. Rednic (Dinamo), Andone (Dinamo), Klein (Dinamo) – O. Sabău (Dinamo, remplacé par Lupu, également du Dinamo), Gh. Popescu (U. Craiova), Rotariu (Steaua), D. Mateuţ (Dinamo) – Cămătaru (Charleroi) et Hagi (Steaua). Les deux plus grands clubs du pays (Steaua était finaliste de Coupe d’Europe des Clubs Champions quelques mois auparavant!) étaient donc bien visés.

Heureusement pour eux deux, les joueurs d’Emerich Ienei, forcément sous pression, s’imposent 3-1 lors du match retour, le 15 novembre. Une victoire qui permet à la Roumanie de remporter son groupe et de se qualifier. Ceauşescu n’a donc pas eu à mettre ses menaces à exécution. C’est le dernier match disputé de son vivant par l’équipe nationale. Il n’aura donc jamais le temps de changer d’avis. Tant mieux pour le foot roumain, qui en aurait été si bouleversé qu’il paraît difficile de l’imaginer se remettre d’une telle double disparition. Une idée qui paraît insensée, mais qui aurait, quand on connaît le personnage, tout à fait pu se produire.

Source: Archives Nationales Historiques Centrales ; Fond du CC du PCR ; Section Chancellerie ; Dossier n. 60/1989.

 
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trackback uri 5 commentaires

Article interessant Pj! ca fait même froid dans le dos..

par Bastien, 04.02.2009 à 11h30   | Citer

Merci PJ pour cette leçon d’histoire.
Quand j’ai ouvert PF et que j’ai vu la photo du tyran je me suis dit « brrrr…. » dans un premier temps, puis, « ha ben j’ai dû me brancher sur parlons nous sans faire exprès ».

Bref, c’est vrai que même mort, ce type flanque encore la frousse. J’ose même pas imaginer le traumatisme vécu par le peuple roumain.
En plus, sa bonne femme avait l’air aussi dingue et cruelle que lui.
Punaise, à côté d’eux, massacre à la tronçonneuse m’apparait aussi cool qu’un conte pour enfants.

Tiens, si notre nain national prenait la mouche au cas où les bleus ne se qualifiaient pas, il ferait dissoudre l’OL !
Au moins, ça m’éviterait d’assister au massacre du jeu matchs après matchs.

par Fab, 04.02.2009 à 12h10   | Citer

je pense… au vu des actions sur la video… le danemark avait l’air survolté… sans compter que dans les années 80/90 le danemark avait une sacrée équipe… je sais pas si les jesper olsen, andersen, andresen etc etaient encore la… mais dans les coupes du monde 82/86, le danemark etait vraiment fort. Bon apres quand la majeure partie des joueurs de roumanie etaient en finale de ligue des champions… c’est sur m’enfin le danemark ca ne réussit pas à la roumanie de toute facon… qu’aurait dit ceaucescu lors de la défaite 5-2 en roumanie ces dernieres années ^^

par sancho, 04.02.2009 à 16h49   | Citer

Oui, c’est sûr que le 2-5 à Bucarest, il serait diablement mal passé!

par PJ, 04.02.2009 à 22h23   | Citer

[...] Sources : Old School Panini, Les Cahiers du foot, Parlons Foot [...]