Urziceni champion… sous réserve!

Alors qu’on parle beaucoup du suspense sur les terrains roumains en cette fin de saison, dernièrement du côté d’Urziceni, il se pourrait bien que le match le plus important de la saison ne se déroule pas à Bucarest, Urziceni ou Timişoara, mais à Lausanne. C’est en effet au Château de Béthusy, 2 Avenue de Beaumont, siège du TAS (le Tribunal Arbitral du Sport) que pourrait se décider du nom du champion de Roumanie. Le FC Timişoara espère en effet y reprendre le 5 juin, date de la décision du TAS, les 6 points perdus en début de saison à la suite d’un long imbroglio. S’il les récupère, le club peut encore espérer passer en tête du classement lors de la dernière journée. Dans le cas contraire, Urziceni sera sacré champion de Roumanie. Une décision lourde de conséquence puisque, outre le titre, elle décidera de qui, entre le Dinamo et le FC Timişoara, de qui ira en Ligue des Champions.

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Le match FC Timisoara-Urziceni de dimanche nous a offert une belle surprise avec la victoire et le sacre de l’Unirea Urziceni. Mais les supporters du club du Banat (la région du nord-ouest de Roumanie dont Timişoara est la capitale) ont les yeux ailleurs, vers la Suisse. Car c’est de là qu’ils sauront cette semaine si le club récupèrera ses 6 points perdus en début de saison pour une histoire invraisemblable. Une histoire dont seule la Roumanie a le secret…

logo-poli-avant-modification.jpgComme expliqué lors de la petite présentation du club il y a quelques temps, le Politehnica Timişoara est créé peu de temps après la fondation de l’Université Polytechnique de Traian Lălescu en 1921. Emanation de l’université, il est le successeur des Ripensia et Chinezul, ces deux clubs de la ville au palmarès étoffé durant l’entre-deux-guerres. S’il n’atteint pas le même niveau que ses deux prédecesseurs, avec seulement 2 Coupes de Roumanie à son actif, le Poli est devenu au fil des ans le symbole de toute une région. Le symbole également de la résistance à l’oppression communiste venue de Bucarest. Le club a en effet perdu de nombreux joueurs dans la lutte inéquitable qui l’opposait aux clubs des dirigeants de la capitale.

Une capitale lointaine, tant sur le plan géographique que culturel. La ville de Timişoara est en effet un peu à part en Roumanie. Bien plus cosmopolite que les autres, sa longue appartenance au domaine des Habsbourg lui a légué une architecture austro-hongroise typique, une ouverture unique sur l’Europe centrale et occidentale, et donc une avance considérable sur les autres villes de la Roumanie actuelle. Elle est ainsi la première ville européenne à être éclairée à l’électricité, en 1884, et l’une des premières villes à être dotée d’un tramway électrique, en 1899. Elle est aujourd’hui encore la ville la plus moderne du pays, la plus active. Elle accueille de nombreuses entreprises high-tech, comme Alcatel, et jouit d’une économie plutôt prospère. De cette situation plus «occidentale», ses habitants sont réputés pour en nourrir un sentiment de supériorité par rapport au reste du pays, et surtout Bucarest.

À la chute du communisme, le Poli se maintient dans le haut du tableau en championnat, mais la saison 1992/93 est ratée: le club finit à la treizième place (sur dix-huit). Il faut dire que les coulisses sont agitées. Les finances des clubs roumains sont en chute libre dans les années 90, mais le Poli prend lui un coup supplémentaire sur la tête: les dirigeants du club se brouillent avec le recteur de l’Institut Polytechnique et la scission avec l’université est consommée. Le divorce devient effectif et l’école fonde de son côté l’AS FC Politehnica qui devient rapidement CSU Politehnica Timişoara, club amateur qui sombre dans les divisions inférieures roumaines. Les résultats du club professionnel commencent donc à décliner, et en 1997, c’est la relégation. Dans le marasme de la Liga 2 puis Divizia 3, sans le sou et sans espoir sportif, le club accepte en 2000 l’offre de reprise de l’Italien Claudio Zambon. L’histoire du club tourne alors au sordide. Le Dacia Piteşti, aujourd’hui FC Argeş, a terminé 5e de deuxième division. Mais un accord financier trouvé avec Zambon intervertit les positions des deux clubs et le Poli se retrouve en deuxième division pour la saison 2000/2001. Un beau départ…

claudio-zambon-poli-sm.jpgMais la suite de l’histoire est plus glauque encore. Zambon (photo) se brouille ainsi rapidement avec les autorités locales et les assigne en justice, sans succès, pour défaut de paiement de sommes promises au club. En mesure de rétorsion, il exile l’équipe à Drăgăşani, petite ville du sud-ouest du pays connue pour être un haut lieu du piratage informatique (élue « capitale mondiale de la piraterie informatique » en 2005), puis Bucarest. Les résultats sont mauvais. Devant son échec à la fois sportif et financier, l’Italien quitte le navire en cours de saison 2001/02. Il sera peu après exclu de toute compétition nationale par la Commission de discipline de la Fédération Roumaine de Football (FRF) pour avoir tenté de convaincre ses joueurs – visiblement avec succès – de laisser leurs adversaires gagner certains matches. Le club est en effet bon dernier, ce qui ne l’empêche pas d’écoper de quinze points de pénalité pour le non-règlement d’un transfert, alors qu’il n’a inscrit que… sept points en championnat de Liga 2. Les supporters des Violet et Blanc sont désemparés: après l’affront d’un naufrage sportif dans les années 90, les voici maintenant sans club du tout.

Durant cette même saison 2001/02, le petit club Fulgerul Bragadiru, en français L’Eclair de Bragadiru, petite ville de 8 000 habitants de la banlieue de Bucarest, connaît une saison surprenante. Gheorghe Florea, son président, tenté à l’été 2001 de racheter la place en première division au Rocar Bucarest. Sans succès, la fédération ne permettant qu’une fusion et non un simple changement de nom en Rocar Fulgerul Bragadiru. Vexé par ce refus, Florea revent durant la trêve hivernale le club à Anton Doboş, un ancien international roumain qui a notamment participé à la Coupe du Monde 98. Le club est déplacé, en cours de saison donc, à Bucarest, et est renommé par son nouveau président AEK Bucarest. Toni Doboş a en effet terminé sa carrière à l’AEK Athènes, club auquel il s’est profondément lié. Et pour appuyer l’hommage, il change, en plus du nom, les couleur de son nouveau club, qui joue désormais en jaune et noir. Ce qui ne l’empêche pas, sur sa lancée, de décrocher le titre et donc d’accéder à l’élite.

Voici donc en première division un petit club, situé à l’origine dans une ville dont même les Roumains ignorent l’existence. Une telle chose a été possible en Roumanie grâce à (ou à cause de) l’effondrement du communisme, mais surtout à la grande crise qui l’a suivi dans les années 90. De nombreux clubs ont mis la clef sous la porte lors de cette phase de transition accélérée vers la capitalisme à l’occidentale. D’autres ont sombré vers les niveaux amateurs, mais certains ont réussi à en tirer profit. C’est ainsi que depuis 1990, ce ne sont pas moins de 24 clubs qui sont passés de la troisième division à l’élite nationale, parfois en deux saisons seulement. Les exemples les plus récents sont le CFR Cluj (promu en 2002 puis 2004), le Poli Iaşi (mêmes saisons), le FC Vaslui (2003 et 2005), les Pandurii Târgu Jiu (2000 et 2005) ou l’Unirea Urziceni (2003 et 2006).

Quel peut bien être le rapport avec Timişoara, me demanderez-vous? Certains l’auront peut-être trouvé, grâce au préfixe AEK.

A Timişoara, on s’organise. Les fans et autres déçus par le départ de leur club se sont regroupés sous l’égide d’un certain Andrei Constantin, qui a mis sur pied un groupe d’investisseurs locaux prêts à mettre la main à la poche pour faire revivre le Poli de leur cœur, et ce le plus vite possible. Le groupe prend contact avec Toni Doboş, et l’affaire aboutit sans tarder.

poli-aek-timisoara-logo.jpgAinsi naît le Politehnica AEK Timişoara. Cet hybride résulte de la fusion de l’AEK Bucarest (ex-Fulgerul Bragadiru donc), et du CSU Politehnica Timişoara, le club amateur créé lors de la scission avec l’université de 1993. L’amalgame conserve la place dans l’élite acquise l’année précédente par l’AEK Bucarest et dispute ses matches dans l’enceinte historique du Poli Timişoara, le stade Dan Păltinişanu. Ce nouveau club est d’emblée adopté par les supporters comme le prolongement logique du Poli de 1921, dont il reprend les attributs, notamment les fameuses couleurs violettes et blanches. Mieux, en mars 2003, la FRF délivre un document attestant que cette entité poursuit l’activité de l’AS FC Politehnica Timişoara, dont le palmarès – les coupes nationales de 1958 et 1980 – ne saurait être revendiqué par quelqu’un d’autre, selon les termes du document.

Tout va donc pour le mieux à Timişoara. Mais c’est maintenant que l’affaire se corse (oui oui, jusque-là, c’était simple!). Car c’est le retour de Claudio Zambon. Disparu du paysage en 2002, l’homme d’affaires italien fait enregistrer en 2003 un club nommé FC Politehnica SA Timişoara, un club basé… à Bucarest! Les documents officiels lui donnent droit aux couleurs et à l’hymne du Poli historique. Ce club démarre en Divizia C, devenue depuis Liga 3, et remporte son championnat dès sa première saison, accédant ainsi à la Liga 2. Il n’ira cependant pas plus haut, et oscille depuis entre Liga 2 et 3. Zambon a néanmoins réussi la première partie de son plan en créant ce club.

Le Poli AEK – rebaptisé entre temps FCU Politehnica Timişoara (en 2004) – reçoit alors l’interdiction, demandée par Zambon, d’utiliser ses couleurs mauve et blanche, les couleurs du Poli originel que l’Italien revendique. Selon lui, son club est le seul et unique héritier en droite ligne du club historique de la ville. Après plusieurs années de batailles administratives et juridiques, le TAS est saisi et rend son verdict en 2008: Claudio Zambon est déclaré titulaire de plein droit du nom et des couleurs du Poli Timişoara. Ironie du sort, c’est le club basé à Timişoara qui perd face à celui basé à Bucarest et doit changer de couleurs, de nom et de logo. Une surprise de taille, d’autant qu’en 2007, les dirigeants de l’association AS FC Politehnica Timişoara, qui est liée directement à l’Institut Polytechnique de la ville et qui subsiste malgré la fusion de 2002, ont publiquement reconnu le droit du Poli AEK à conserver le palmarès du Poli de 1921, confortant le procès-verbal officiel de la FRF évoqué plus haut.

justice-for-poli.jpgDu côté des fans, la réaction est sans équivoque: Zambon est un imposteur, et l’acte d’enregistrement de son club en 2003 ne peut être qu’un faux, ou du moins le résultat d’une corruption au sein de la fédération – hypothèse malheureusement crédible. Ils descendent en masse dans la rue pour protester contre cette décision qu’ils jugent inique, se retrouvant jusqu’à dix mille dans les rues de Timişoara, comme le mardi 9 septembre dernier. Un manifeste est publié en cinq langues pour sensibiliser un maximum de monde à leur cause. Le slogan « Poli sunt noi! » (Le Poli, c’est nous!) est leur cri de ralliement.

Le club refuse dans un premier temps de céder. S’il consent à changer de couleurs, c’est pour passer du violet et blanc au mauve et blanc, tentant ainsi de brouiller les pistes. Sans succès. La FRF, sur demande de la FIFA qui entend faire respecter la décision du TAS, lui inflige six points de pénalité. Sous peine de disparaître purement et simplement, le Poli obéit. Ainsi naît le FC Timişoara, qui arbore désormais du blanc et du bleu à domicile (les couleurs les plus proches autorisées), et du jaune et du noir à l’extérieur (comme l’AEK). L’écusson est changé, et la seule référence commune est le heaume noir. La devise « Poli, notre patrie » disparaît. Mais la mobilisation populaire ne décroît pas, et dans le stade Dan Păltinişanu, le violet est toujours de rigueur.

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Malgré ces déboires, le club réalise une belle saison, disputant le titre jusqu’à quelques journées de la fin. Mais Marian Iancu, l’infâme président du club, ne désespère pas de voir le TAS changer d’avis et rendre à son club les points perdus. Iancu, jamais avares de sorties médiatiques plus ou moins contrôlées (invectives, crachats, casseroles judiciaires et coups bas) joue sur ce terrain dans la même division que Gigi Becali ou Adrian Mititelu, le président de Craiova. Avec une spécialité propre: le limogeage express d’entraîneur. Depuis l’arrivée de son puissant consortium Balkan Petroleum à la tête du club, ce sont pas moins de 7 entraîneurs qui se sont succédés, dont une certain Gheorghe Hagi. Cette saison, Dusan Uhrin Jr, n’a tenu que quelques mois et a été licencié pour des raisons que tout le monde ignore encore. Son successeur, Gabi Balint, a vu son mandat prendre fin hier soir après la défaite contre Urziceni. On ne le verra donc plus sur le banc timişorean, à moins d’un miracle. Un miracle à la roumaine. Réponse cette semaine.

 
Edito | Roumanie

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Article très interessant, j’ai un peu l’impression qu ‘Urziceni pourrait peut-être un jour fusionner avec un club de Bucarest…un pressentiment. tu en avais d’ailleurs parlé pj une fois en disant que le Steaua pourrait peut-être fusionner avec Urziceni et donc lui piquer sa place en champions league.

par Bastien, 01.06.2009 à 11h13   | Citer

[...] la FIFA n’était « pas justifiée. » Une décision qui permet au club du Banat de reprendre la deuxième place du classement et de disputer le troisième tour préliminaire de Ligue des Champions en lieu et place du Dinamo [...]

Pingback par Roumanie: capitale Lausanne - Footballski, 17.09.2015 à 17h55   | Citer