Les effets du dopage? Partie 1: Mihai Baicu et les victimes du dopage organisé en Roumanie

mihai-baicu.jpgMihai Baicu est décédé lundi soir d’un arrêt cardiaque. Si son nom n’est pas connu en dehors des frontières roumaines, son décès provoque une vague d’accusations dans tout le pays. Car ce décès survenu subitement à 33 ans pousse certaines langues à se délier, et certaines enquêtes montrent que le dopage pourrait être la cause principale de la mort de Baicu. Comme d’autres joueurs ces dernières années. Première partie d’une petite étude en deux actes sur les effets du dopage dans le monde du football.

«Nous étions à Ghencea, sur un terrain en synthétique. Il venait de terminer un petit match. Il a bu un café sur le bord du terrain puis s’est mis à crier « J’ai mal! » Il s’est levé et il est tombé d’un coup.» Les témoignages sont unanimes sur la manière dont se sont déroulées les dernières minutes de Mihai Baicu. Passé, entre autres, par le Naţional Bucarest, le FC Argeş Piteşti, le Chindia Târgovişte, Cremonese (en Italie), le FC Braşov, le Farul Constanţa ou le Ceahlăul Piatra Neamţ, l’avant-centre est décédé à l’âge de 33 ans alors qu’il jouait avec des amis sur un terrain annexe du stade Ghencea. Un décès surprenant, pour un joueur qui n’a terminé sa carrière il y a deux ans seulement. «Le décès n’est pas dû à un excès d’efforts, son organisme était résistant et possédait encore l’empreinte de l’exercice physique,» a déclaré le spécialiste qui a annoncé son décès à l’hôpital de Bucarest. Ce qui laisse ouverte la possibilité d’un problème médical généré, tout le monde y pense en Roumanie, par les produits dopants. Une thèse déjà largement utilisée lors des décès de Cătălin Hâldan ou Ştefan Vrăbioru.

logo-chindia-targoviste.gifSi les produits sont aujourd’hui incriminés dans le décès de Baicu, c’est que sa carrière coïncide de manière douteuse avec des affaires avérées. Ses pas suivent en effet de très près des affaires de dopage. Le point culminant de ces affaires étant son passage au Chindia Târgovişte, en 1996-97. Le Chindia est en effet célèbre pour son utilisation généralisée de produits dopants à cette époque. Mihai Iosif, alors coéquipier de Baicu, est passé à l’attaque dans les médias cette semaine: «Je suis arrivé au Chindia en 1996 en provenance du Dinamo Bucarest. J’étais prêt, en bonne forme, mais ils couraient tous comme des lapins. En stage d’été, on nous a donné 10-12 pastilles une fois. Et avant les matchs, le préparateur, Vasile Silaghi, venait nous mettre quelques gouttes dans le thé. Les plus anciens disaient: « C’est l’heure de l’éphé! » Lors d’un match, ils m’ont donné une pastille censée me donner des ailes. J’ai couru comme un dératé. Ils m’ont dopé!» Un autres coéquipier de Baicu au Chindia était Cătălin Hâldan, mort lui aussi dans des conditions suspectes en l’an 2000, nous y reviendrons plus loin. Sur leur certificat de décès est noté la même chose: insuffisance cardiaque.

Un nom est important dans le témoignage de Iosif, celui de Vasile Silaghi. Préparateur physique et adjoint de Silviu Dumitrescu au Chindia Târgovişte, Silaghi est un personnage très controversé. Il a travaillé en 2000 au FC Argeş Piteşti où, l’a saison suivante, Adrian Neaga et Cristi Buturugă ont été contrôlés positifs aux stéroïdes anabolisants. Autre coïncidence troublante, 100 fioles d’éphédrine ont été récemment trouvées dans l’appartement d’un proche de Cornel Penescu, président du FC Argeş cette saison, jusqu’à son arrestation il y a quelques semaines pour corruption d’arbitres.

Enfin, lors de son passage au Farul Constanţa, en 2004, Mihai Baicu a été suspendu trois mois pour dopage. Sollicité pour un contrôle antidopage avec Iulian Apostol et Mihai Senin, Baicu et ses deux coéquipiers ont été contrôlés positifs, des traces de furosémide ayant été décelées dans leurs urines. Lors de l’enquête, Baicu avait défendu ses coéquipiers en expliquant qu’il avait « complété » leurs fioles, ceux-ci n’ayant pu les remplir suffisamment. Il avait expliqué prendre du furosémide à cause de problèmes de poids. Diurétique, le furosémide est surtout un agent masquant, ce qui explique sa présence sur la liste des produits interdits.

catalin-haldan-dinamo.jpgProblèmes de santé, accidents, sur le terrain ou en dehors… les joueurs du Chindia semblent poursuivis par la poisse depuis quelques années. Baicu n’est qu’un nom de plus sur une liste déjà bien garnie. En 1996, Bogdan Liţă et Cristian Igescu, 19 et 22 ans, se sont tués lors d’un accident de la route alors qu’ils se rendaient à un mariage. En 2000, c’est Cătălin Hâldan (photo), passé en 1996 au Chindia, qui meurt à 24 ans d’un arrêt cardio-respiratoire lors d’un match amical opposant le Dinamo au Şantierului Naval Oltenia. Surnommé « l’unique capitaine » par les supporters du Dinamo, dont il est resté l’emblème, Hâldan a aujourd’hui une tribune du stade Ştefan cel Mare qui porte son nom. En 2003, c’est Cezar Dinu qui décède, à l’âge de 27 ans. Passé également en 1996 au Chindia, Dinu, victime d’un infarctus alors qu’il était au volant, est mort après un mois de coma.

Le cas Baicu n’est donc pas le premier en Roumanie. D’autant plus que les joueurs du Chindia ne sont pas les seuls touchés. Bien d’autres joueurs sont morts subitement, des décès dont les causes sont encore troubles: Ştefan Vrăbioru (1999, 23 ans), Cristi Neamţu (21 ans) ou encore Michael Klein (1993, 33 ans, il jouait alors à Uerdingen). «Il y a 30 ans, les statistiques donnaient 1-2 cas de mort subite pour 100 000 sportifs. Durant la dernière décennie, le pourcentage est devenu alarmant: 2-4 cas pour 1 000!» Le professeur Ioan Drăgan, sommité de l’histoire de la médecine sportive en Roumanie, est alarmé. «J’ai lu qu’il était inscrit sur le certificat de décès de Baicu insuffisance cardio-respiratoire. C’est vague. Je pense plutôt à une hypertrophie du myocarde.» Il se montre en revanche catégorique sur les liens entre les produits interdits et ces décès: «Il existe des médicaments qui agissent de manière néfaste. Les amphétamines et les anabolisants affaiblissent tous les deux le muscle cardiaque. En résulte un myocarde moins fonctionnel, qui cède de manière subite. Ce sont les effets à retardement du dopage.»

danut-lupu.jpgUn homme est donc montré du doigt: Vasile Silaghi, le préparateur physique de Baicu et Hâldan au Chindia. Mais il n’est pas le seul pointé du doigt. C’est tout une organisation, impliquant dirigeants, entraîneurs et médecins que certains accusent. C’est le cas de Dănuţ Lupu (photo), ex-international et attaquant-vedette du Dinamo à la fin des années 80 puis dans les années 90, après un passage à Brescia. Selon lui, c’est tout le système qu’il faut accuser: «J’ai toujours tenté d’attirer l’attention sur le fait que le footballeur est une marchandise en Roumanie. Les président les utilisent puis les jettent. Il faut gagner, peu importe comment. Les « médicaments » font partie des armes utilisées. Personnellement, j’ai toujours refusé de les prendre. C’est pour ça que j’ai été viré du Dinamo en 2000. Du temps de Ceauşescu, les médecins nous laissaient les cachets sur la table. Nous étions 5 ou 6 à ne pas en prendre. Mais certains, comme Sabău, en prenaient de pleines poignées. C’est sûrement pour ça qu’il a eu autant de ruptures musculaires. Un jour, avant un match de tour préliminaire de Ligue des Champions (contre le Polonia Varsovie, en 2000), ils ont voulu nous aider à jouer le match de notre vie. Les joueurs ont été sous perfusion pendant une heure ou deux. Ils étaient tous allongés, on aurait dit un hôpital! Quand j’ai vu ça, je suis parti. On était sensés bien jouer, mais ça a eu l’effet inverse. Quand le corps n’est pas habitué, il cède, c’est normal. Les gars qui avient été perfusés avaient des vertiges. Du coup, on a été mauvais et on a perdu (3-4 à Bucarest puis 1-3 à Varsovie). Ca a été un énorme scandale. Badea et Borcea (les actionnaires majoritaires du Dinamo) ont été harcelés par les journalistes. J’en ai parlé à l’époque, mais les dirigeants ont tout étouffé. Ce sont eux les principaux responsables. Je suis convaincu que ça se fait encore aujourd’hui, et dans tous les clubs.»

Si certains attaquent, d’autres défendent. Silviu Dumitrescu par exemple. Entraîneur du FC Argeş lorsque Vasile Silaghi y travaillait comme préparateur adjoint, Dumitrescu assure que rien d’illégal ne s’y est fait: «Il donnait des cachets aux joueurs, mais ceux-ci ne contenaient que des sels identiques à la Supradyn. Il les donnait de la main à la main, je n’aimais pas trop cette manière de faire. Mais ilfaut dire que sa façon de faire sublimait l’atmosphère dans le club, et les résultats ont suivi.» Un argumentaire un peu léger, surtout si on rappelle qu’à cette époque, en 2001, Neaga et Buturugă, deux joueurs du club, ont été contrôlés positifs.

Aujourd’hui actif dans une clinique d’Oradea, Mircea Lucaciu, médecin du Dinamo en 2000, se défend lui aussi face aux attaques, notamment de Lupu. Selon lui, les perfusions décrites par Lupu ne contenaient «que des vitamines, des minéraux et du glucose. Tout ce que nous administrions était légal et en fonction des besoins des joueurs. Nous faisions des analyses de sang, comme partout ailleurs, et nous choisissions quel produit donner aux joueurs selon les résultats de ces analyses. Prenait alors qui voulait. Demandez à Dennis Şerban, à Roşu ou à n’importe quel joueur qui a joué à l’étranger. C’est partout la même chose.»

La famille de Cătălin Hâldan est elle aussi montée au créneau, par la voix de son frère Cristi. Ancien international de rugby aujourd’hui entraîneur de l’équipe du Dinamo, Cristi Hâldan s’est dit bouleversé par le décès de Baicu, mais réfute toute hypothèse de dopage: « Cătălin n’a pris aucun médicament. Nous avons même envoyé des échantillons à Cologne pour les faire analyser. Il me disait tout le temps que son contrat serait rompu s’il prenait quelque chose.» D’anciens collègues de Hâldan au Chindia abondent en ce sens. Sică Bărdeş par exemple: «Ce n’est pas vrai que les joueurs prenaient des médicaments. J’ai eu trois contrôles antidopage, tous négatifs. Nous n’étions pas fous, nous n’allions quand même pas risquer nos vies avec ça!» Gheorghe Dumitraşcu défend lui aussi ses anciens coéquipiers: «Je ne crois pas que les médicaments soient la cause de son décès. Il est resté très peu de temps au Chindia. Combien de médicaments aurait-il bien pu prendre pour que ça lui fasse autant de mal?»

mitica-dragomir.jpgSi les médecins ne sont pas, pour certains, responsables de la situation, les dirigeants du football roumain font eux l’unanimité contre eux. Pour l’ensemble du football roumain, Hâldan, Baicu et les autres sont les victimes du système. Le football roumain, dont l’image n’est pas reluisante, ne fait rien pour redresser la barre sur ce plan. Le FRF et la LPF ignorent la multiplication des problèmes médicaux. Ces deux dernières années, les deux organismes dirigeants n’ont commandé aucun contrôle dernières années, les deux organismes dirigeants n’ont diligenté aucun contrôle antidopage. «Qu’est-ce que vous voulez? Qu’on mette la main à la poche? Mais qu’ils paient eux s’ils veulent faire des contrôles!» La déclaration de Dumitru Dragomir (photo) – le président de la LPF, également député d’extrême droite – à l’adresse de l’Agence Nationale Antidopage (ANAD) est suggestive. Il existerait donc un système-complice couvrant toute trace suspecte. La position du même Dragomir lors des contrôles positifs de Neaga et Buturugă en 2001 est éloquente, puisqu’il les a « sauvés » tous deux: «Que devrait-on faire? Leur couper la tête? Mais les joueurs n’y sont pour rien! Ils prennent ce qu’on leur donne, comme des canards,» avait-il déclaré à l’époque.

Graţiela Vâjială, la présidente de l’ANAD, monte elle au créneau: «Faut-il encore qu’un Hâldan ou qu’un Vrăbioru meure pour que la FRF et la LPF demande des contrôles antidopage?» demandait-elle il y a encore quelques temps. Le décès de Baicu a réouvert la discussion. «Le football se moque de nous! Ca fait deux ou trois ans qu’aucun contrôle antidopage n’a été commandé, alors que la Loi 227 fait part de la nécessité de contrôle fréquents et que l’UEFA a un programme propre de test. Au lieu de bouger, Valentin Alexandru, de la LPF, mais dit « Madame, vous n’êtes pas stupide au point de penser que nous allons payer des contrôles… » avec le plus grand calme.» Graţiela Vâjială n’en décolère pas.

sandule.jpgEn face, les dirigeants de la FRF n’ont pas d’explication concrète sur l’absence de contrôles. «Dites à madame Vâjială que 200 000 contrôles antidopage ont été effectués l’an dernier dans le monde entier et qu’aucun n’a été positif. De ce point de vue, le football est le sport le plus propre du monde. Que l’agence de cette dame s’occupe de l’athlétisme et des autres sports qui ont ces problèmes. Le fait qu’il soit mort jeune ne signifie pas que Mihai Baicu est mort à cause du dopage. Des enfants meurent aussi d’affections cardiaques.» Telle a été la réaction de Mircea Sandu (photo), le président de la FRF. Son vice-président, l’ancien international et joueur du Dinamo Ionuţ Lupescu, partage le même avis: «Nous avons eu des contacts avec l’ANAD jusqu’en 2007, et nous avons bénéficié de contrôles supplémentaires en 2008 de la part de l’UEFA parce que nous avons participé à l’Euro. De ce que j’en sais, un nouveau contrat devrait être signé en 2009 avec l’ANAD.» L’ANAD devra néanmoins continuer à prendre en charge les contrôles dans le pays. Cette année, elle a pu diligenter 322 contrôles, tous négatifs. Assez pour éviter de nouveaux Baicu?

 
Drogue/Dopage | Roumanie

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Et bien c’est édifiant… Je serais curieux de voir un article sur le même thème sur le championnat italien par exemple…

par Bentonjda, 13.07.2009 à 14h51   | Citer

Et bien tu ne crois pas si bien dire, puisqu’il arrivera d’ici quelques jours comme second acte!

Bienvenue parmis nous Bentonjda!

par PJ, 13.07.2009 à 18h33   | Citer