Gigi Becali est décidément doté d’une imagination sans fin lorsqu’il s’agit de couler son propre club. Cette semaine, c’est Crisitano Bergodi, l’entraîneur censé reconstruire une équipe privée de ses cadres Dică, Rădoi et Goian, vendus ces deux dernières saisons par Becali, qui a fait les frais des sautes d’humeur de son président. Vu par beaucoup comme le meilleur entraîneur du pays, l’Italien a été viré dès la fin du match d’ Europa League opposant Steaua au Sheriff Tiraspol (encore lui) pour avoir tenté d’empêcher l’omnipotent Gigi d’entrer dans le vestiaire à la mi-temps! Preuve que ces magnats de présidents, souvent incultes en matière de football, se permettent tout. Particulièrement en Roumanie.
Becali, Porumboiu, Mititelu, Iancu ou Stefan, ces propriétaires de club ont bien des points communs. Notamment celui de se conduire comme Dieu le Père au sein de leur joujou. La situation est devenue catastrophique cette semaine pour les entraîneurs de Liga I. Trois d’entre eux ont en effet été remerciés – ou plutôt virés manu militari! – pour ne pas avoir exécuté les ordres données par leurs patrons. Symbole d’un foot à la dérive, où les plus puissants, Abramovitch en tête, dictent leurs envies à leurs entraîneurs. Le plus souvent pour des résultats mitigés, on a pu le voir avec Shevshenko à Chelsea.
L’exemple de Chelsea illustre ces propos, mais ce n’est rien comparé à la folie mégalomaniaque des présidents de club roumains. Le foot y est encore à l’ère esclavagiste, avec des joueurs harcelés, piétinés à la première contre-performance, exclus s’ils ne signent pas ce que leur imposent leurs patrons, et des entraîneurs licenciés dès le premier signe de non-obéissance. Et «grâce», ne l’oublions pas, à des autorités – LPF et FRF – en relations proches avec les différents magnats, et donc complices de tous les abus. Les supporters sont eux la dernière roue du carrosse, et voient leurs tribunes fermées dès qu’ils se mettent à protester.
«Les hommes d’honneur ont disparu», les regrets sont exprimés par Jean Pădureanu (photo), qui n’est pourtant pas un saint. Grand dirigeant, en coulisses, du football roumain dans les années 90, Pădureanu a vu arriver à la tête des clubs des hommes riches proclamant l’indépendance de leurs entités, un grand ménage et moult autres promesses. Evidemment, tout n’est qu’illusion. La nouvelle génération de dirigeants est tout aussi mouillée dans les affaires que la génération communiste et post-communiste, mais elle est aussi bien moins préparée. L’absence totale de connaissances footballistiques de ces mécènes est égale à la désinvolture avec laquelle ils étalent leurs lacunes, débitant des énormités grossières, pour le plus grand plaisir des médias. Inévitablement, rapidement – et malheureusement – ces nouveaux maîtres sont passés des loges aux vestiaires.
Le plus connu d’entre eux est sans conteste Gigi Becali, propriétaire de Steaua. Comme avec le couple Ceauşescu, l’homme a développé un culte de la personnalité, avec notamment un entourage proche très servile, qui lui a quelque peu fait perdre le sens de la réalité. S’il est resté un peu en retrait durant sa première année à la tête du club, l’entraîneur Victor Piţurcă a vite réalisé que la collaboration serait difficile. Gigi a en effet hésité à donner ses opinions, avant de littéralement exploser et virer Piţurcă, qui l’avait pourtant aidé à prendre le club, qui appartenait auparavant aux frères Paunescu. Aujourd’hui, Gigi crie sur tous les toits qu’il est le meilleur tacticien du monde. Il établit l’équipe, impose les joueurs sur le terrain, la tactique de jeu. Et surtout qui doit quitter le club. Ceux qui n’obéissent pas prennent la porte sur le champ. Le dernier d’entre eux est l’Italien Cristiano Bergodi, arrivé pour reconstruire une équipe en fin de cycle, et qui a été remercié la semaine dernière après empêché Becali d’entrer dans les vestiaires pour insulter les joueurs à la mi-temps du match contre le Sheriff Tiraspol.
Au total, Gigi Becali a vu passer 11 entraîneurs sur le banc de son club depuis son arrivée il y a 6 ans. Soit autant que durant les 25 années précédentes! Cette gestion catastrophique tue le club a petit feu, et les supporters n’en peuvent plus. La contestation qui a suivit le limogeage de Bergodi a envahit tout le pays, et même l’étranger. Dans toute la Roumanie fleurissent des pancarte et banderoles «Becali, quitte Ghencea!» Du jamais vu en Roumanie. Les expatriés s’y mettent eux aussi, en Italie, en Espagne ou aux Etats-Unis.
En représailles, Becali a bloqué l’accès aux virages du stade. S’il n’a que peu d’estime pour les supporters – «des vagabonds» comme il les appelle – Gigi a pris un coup supplémentaire lorsque les abonnés des latérales ont eux aussi déposé leurs abonnements devant le stade cette semaine. C’est dorénavant tout le public qui est contre lui, et plus seulement les virages. Le lendemain de cette action, Becali déclarait vouloir créer un nouveau club, appelé Steaua 2003 (l’année de son arrivée au club), qui n’aurait ni les couleurs, ni le logo ni le palmarès de l’équipe actuelle, ni son stade, mais garderait sa place en L1. Libre à quiconque de reprendre la véritable identité de Steaua, qui repartirait alors des divisions inférieures.
Ce stratagème, qui a tout de même peu de chances de voir le jour, fait revenir le club quelques décennies en arrière. A l’époque, un autre semi-analphabète ivre de pouvoir, victime de son culte de la personnalité et ennemi de la démocratie, avait pris le club entre ses mains. Nicolae Ceaşsescu a pris les rênes du club dès les années 50, alors qu’il était adjoint du Ministre de la Défense. Durant toutes ses années à la tête du club, Ceauşescu a commis d’innombrables abus, n’hésitant pas à détruire les équipes ou les joueurs en travers de son chemin. Steaua a aujourd’hui le même type de maître. Becali présente les mêmes défauts que son prédécesseur: analphabétisme vague, soif de pouvoir (il vient de réussir à se faire élire député européen), impression d’être génial et allergie à la démocratie. «C’est ainsi depuis que la Terre existe! Le maître domine et les serviteurs servent. C’est ainsi que le Christ a organisé le monde. Le maître s’appelle aujourd’hui le patron et les serviteurs des employés… Mais rien ne change!», telle est sa vision des Droits de l’Homme dans l’Union Européenne.
Il n’est malheureusement pas le seul homme de cette trempe dans le foot roumain. Au tyran national ont succédé dans les années 90 des barons locaux. Adrian Porumboiu est l’un d’eux. Ancien arbitre devenu homme d’affaires prospère, Porumboiu finance aujourd’hui le FC Vaslui via ses sociétés. S’il se distingue de ses semblables par le fait qu’il connaît le football, puisqu’il en sort, il est surtout celui qui se rapproche le plus de Becali. Comme son modèle, Porumboiu ne fait pas qu’investir de l’argent dans son équipe, il s’y investit lui. Il est ainsi accusé depuis longtemps de faire pression sur les arbitres grâce à son influence auprès de la Commission Centrale des Arbitres. Il est ainsi reconnu pour avoir contribué à l’ascension de l’équipe moldave, rapidement passée de deuxième division au statut d’européen. Ses anciens collaborateurs parlent eux d’un homme difficile, avec lequel on ne peut ni travailler ni argumenter. Autre aspect le rapprochant de Becali: plusieurs sources proches du club soutiennent de Cristian Dulca a été dernièrement démis de ses fonctions d’entraîneurs après la défaite contre Timisoara non pas à cause du résultat, mais parce qu’il n’a pas laissé son patron entrer dans les vestiaires. Dulca-Bergodi, même combat?
Puisqu’on parle de Timisoara, difficile de ne pas parler de Marian Iancu, son président. Sa spécificité est de ne pas aller dans le vestiaire. Iancu y envoi ses collaborateurs, qui sont chargés de donner les différentes indications aux joueurs et entraîneurs. Ce qui ne l‘empêche pas d’être connu pour sa manie de terroriser son équipe avant les grands matchs. Ne nous trompons pas, Iancu n’est pas moins horrible que ses pairs. Il a ainsi poussé le vice la saison dernière en virant son entraîneur Dusan Uhrin Jr alors que son équipe pointait à la première place du classement! Les deux hommes n’avaient pas la même vision de l’équipe, et Iancu ne l’a pas supporté. Et Timisoara a terminé la saison à la troisième place. Florin Iacob, agent de joueurs, l’accuse également d’obliger les joueurs à signer des actes additionnels aux contrats sans pouvoir les lire. Ceux qui refusent sont irrémédiablement virés ou envoyés croupir en équipe réserve.
Les apparences sont également trompeuses chez Arpad Paszkany. S’il évite au maximum les apparitions publiques, le patron du CFR Cluj est extrêmement actif. Paszkany a l’apparence du patron discret qui paie, reste en loges, s’occupe de ses affaires et évite les histoires avec la justice. Il ne s’est de plus jamais lancé dans des discutions technico-tactiques avec ses entraîneurs. Et pourtant, Paszkany n’est pas un saint. Les procureurs ont récemment commencé à s’occuper de son cas, et il se pourrait bien qu’une partie de sa fulgurante ascension soit douteuse. Quelle surprise… Et même s’il ne parle pas beaucoup, Paszkany agit quelques fois comme ses homologues, en virant par exemple son entraîneur pour des raisons plus que floues.
Dernier homme du jour, Gherghe Stefan. S’il ne dirige pas une grande équipe, le Ceahlaul Piatra Neamt vient à peine de revenir dans l’élite après deux saisons en deuxième division, Stefan n’est pas un inconnu dans le petit monde du football roumain, dont il fait partie depuis une bonne quinzaine d’années. S’il semble plus évolué q’une Becali, ses méthodes ne diffèrent guère. L’homme terrorisait ainsi les arbitres il y a dix ans. Et personne dans son club ne lui tient tête. Entré en politique, il est devenu maire de Piatra-Neamt, et a même été le seul candidat à avoir des affiches de campagne lors des dernières élections municipales. Au stade, Stefan assure ne plus s’impliquer dans la composition de l’équipe. Il a néanmoins viré son entraîneur Florin Marin la semaine dernière après que celui-ci n’ait pas effectué les remplacements qu’il lui demandait contre le FC Brasov. «S’il n’a pas le courage de faire ce que je lui demande, qu’il prennent ses affaires et qu’il parte!» a-t-il déclaré après le match. Sûr qu’avec des dirigeants pareils, le football roumain progresser dans les années qui viennent…
trackback uri
8 commentaires
j’ai envie de dire… que fait la fifa ou l’uefa dans tout ça… c’est une honte… de telles méthodes sont proprement d’un autre temps… le niveau est tiré vers le bas et ça continue sans cesse… comment un peuple comme le peuple roumain qui a eu le courage de se soulever contre des tyrans comme ceaucescu peut-il encore se montrer aussi pacifiste… la meilleure chose à faire, tout bruler et repartir à zéro
« comment un peuple comme le peuple roumain qui a eu le courage de se soulever contre des tyrans comme ceaucescu peut-il encore se montrer aussi pacifiste »
Mmmmmh, oui, alors là encore il y a matière à pas mal d’heures de discussion!
Le problème vient du fait que la LPF, avec Dragomir, et la FRF avec Sandu son cul et chemise avec les patrons et passent tout. Tant que les dirigeants s’entendront entre eux, la situation ne pourra pas s’améliorer. Et l’UEFA s’en tape un peu apparemment.
Article hyper interessant Pj, tu as l’habitude, je le dis souvent.
Mais quand on m’apprends des choses, je trouve important de dire qu’on apprécie.
Le problème parait très complexe et je vois pas de solutions directes…Que faire pour le Steaua? la seule solution serait qu’en ancien footballeur ou personnalité riche mais correcte rachète le club..et encore est ce que Becali serait disposé à vendre le club..rien n’est moins sur… c ‘est vraiment dommage car c’est une équipe prestigieuse et qui a un potentiel certain…..
Il semble néanmoins que les présidents du Dinamo et du Rapid soient corrects étant donné que tu n’en parles pas….
Pour Paszkany, j’ignorais qu’il fut un sinistre personnage.
Je suis d’accord avec Sancho quand on a supporté Ceaucescu… on ne doit plus tolérer Becali.
J’ignorais également que Ceaucescu avait dirigé le Steaua…dieu sait l’horreur…..
Ce qui est terrible c’est que ça rappelle les années 80 avec Bez et Tapie. Mais je dois dire que ça fait beaucoup pour une nation de foot qui a engendré la genération 94… Ca doit quand même avoir une drôle d’influence sur la formation des jeunes, non ?
En tout cas, ça fait beaucoup pour un seul championnat, tout ces tyrans en puissance…
C’est triste pour ces clubs et leurs supporters.
Très intéressant, merci PJ.
Ca me fait penser à l’autre jour, quand j’ai croisé JMA au restaurant.
Je ne l’ai jamais dit à personne mais j’ai eu l’occasion d’appercevoir son chéquier quand il a payé.
Il était écrit : Aulassescu Jon-Michaelu.
Tout s’explique.
(O_o)
mdr fab, voilà de la bonne auto-dérision comme je l’aime !!
Eh beh c’est sympa l’ambiance en Roumanie ! L’apparition en masse de l’argent dans les ex-pays de l’est fait des ravages dans les égos surdimensionnés de ces messieurs semble-t-il.
Non non Bastien, je te rassure (si je puis dire), mais Copos, au Rapid, et les actionnaires du Dinamo ne sont pas de gentils personnages. Mais comme je n’ai pas trop eu le temps de tout faire, je n’en ai pas parlé. La situation est assez compliqué dans ces deux clubs et c’eût peut-être été de trop. Je trouve que c’est déjà bien chargé là!
ok Pj, donc c’est spécial au Dinamo… et au Rapid….
rires!