le 26 novembre 2009 à 14:02La face (pas très) cachée du football bosnien

Sur le terrain, l’équipe nationale de Bosnie se porte bien, de mieux en mieux même. En coulisses, la situation n’est en revanche pas reluisante. Le secrétaire général de la Fédération de football de Bosnie, Munib Usanovic, et son trésorier Miodrag Kures ont été condamnés lundi à 5 ans de prison et 310 000 euros d’amende pour fraude fiscale et détournement de fonds. En les reconnaissant coupables d’avoir soustrait 150 000 euros au fisc entre 2001 et 2005 ainsi que d’avoir détourné 167 000 euros à leur profit, la justice bosnienne a mis fin à une longue impunité. Car si beaucoup de membres de la Fédération ont eu des problèmes avec la justice, c’est la première fois qu’une telle sanction tombe. Une sanction longue à venir, puisque les deux hommes avaient été inculpés en 2007 suite à un contrôle fiscal, et qui ne reste que l’arbre qui cache une bien vaste forêt.

Si cette condamnation est un premier pas vers l’assainissement de la situation, celle-ci reste grave pour la Fudbalski Savez Bosne i Hercegovine (FSBiH). En 2007, c’est plus d’un million d’euros qui ont disparu de ses comptes. C’est sur cette base qu’Usanovic et Kures ont été accusés de détournement. L’expert nommé par le tribunal a déclaré durant le procès qu’elle n’avait jamais vu une comptabilité aussi mal tenue en plus de 20 années de tels audits. Au final, ce sont plus de 3 millions d’euros que la FSBiH doit payer à ses créditeurs sous peine de perdre ses propriétés, hypothéquées.

Usanovic (photo) et Kures ne sont pas les seuls membres de la FSBiH à avoir eu maille à partir avec la justice. La structure de cette Fédération favorise elle-même le copinage et l’étouffement des affaires. Ses membres sont nommés au sein de l’assemblée de la Fédération comme représentants municipaux, de canton ou de district. Le comité exécutif est choisi au sein de cette assemblée, qui est supposée superviser le bureau exécutif dont elle a choisi les membres. Le bureau exécutif prend lui les décisions pour la Fédération, comme celle de nommer Usanovic secrétaire général.

On trouve par exemple parmi les membres de la FSBiH Hamdija Abdic. Membre du bureau exécutif, Abdic a été condamné en octobre 2007 à deux ans de prison ferme. Une sentence qui n’a toujours pas été appliquée pour «raisons de santé». Abdic a été condamné avec Emin Pivic pour avoir tenté d’extorquer 200 000 marks allemands à un certain Nezdad Bajric. Ce dernier ayant refusé d’obtempéré, Pivic l’a abattu et tous deux lui ont volé sa voiture et plusieurs biens. Dans une interview donnée depuis sa résidence de Bihac, Abdic a reconnu avoir été mêlé à plusieurs bagarres, mais déclare: «Mes enfants ne sont pas les enfants d’un criminel, mais d’un héros de guerre.» Surnommé Tiger, Abdic a été commandant durant la guerre civile. Il continue aujourd’hui de servir au bureau exécutif, malgré son état de santé officiel et une loi interne qui empêche quiconque ayant été condamné pour un acte criminel d’occuper un tel poste. Abdic s’est dit «peu familier» de cette loi et n’a exprimé aucune intention de démissionner.

Autre membre du bureau exécutif, Miroslav Coric a été arrêté en mai 2007 pour irrégularités dans le Canton de Herzégovine-Neretva, dont il était Premier Ministre. Suspecté de faire partie d’un réseau de crime organisé, il est notamment accusé d’avoir payé 380 000 euros à d’anciens officiers de police. Le juge a cependant décidé que les preuves étaient trop substantielles. Ajourné, le procès est toujours en attente. Coric est lui toujours Premier Ministre du Canton de Herzégovine-Neretva, où se trouvent les villes de Jablanica et Mostar.

Samir Cemalovic, membre du bureau exécutif, est lui aussi représentant d’Herzégovine-Neretva. Suspecté de faire partie d’un réseau de trafic de voitures et de stupéfiants, il a été relaxé.

Dernier exemple, Talat Sulejmani. Directeur du département des licences, Sulejmani a été inculpé pour violation des lois sur les remboursements des vols annulés lorsqu’il était à la tête du bureau d’Air Bosnia à Istanbul. Ses agissements ont coûé plus de 1 300 000 dollars à sa compagnie. Le procès est toujours en cours. Sulejmani est également visé dans une enquête sur l’octroi de citoyennetés bosniennes irrégulières par les ambassades et consulats de Bosnie, dont celui de Turquie, où il a travaillé de 1994 à 1998. Sulejmani conteste toute irrégularité dans cette affaire.

Tout cela met la FSBiH sous le feu des critiques depuis plus d’un an. Le public reproche à la Fédération de tolérer en son sein, et surtout parmi ses dirigeants, la présence de personnes ayant un casier judiciaire ou considérées comme criminelles. Abdic notamment est détesté chez les supporters de l’équipe nationale depuis qu’il a viré le très populaire Meho Kodro et ses assistants en 2008 – pour désobéissance envers le bureau exécutif – pour nommer son ami Miroslav Blazevic à sa place à la tête de la sélection. «Kodro est viré mais il ne faut surtout pas toucher au type qui est en procès pour avoir détourné un million d’euros» a-t-on alors entendu chez les dirigeants des Fanaticos, le plus grand groupe de supporters de l’équipe nationale. Devant cette impunité, les supporters ont décidé de boycotter leur équipe, une décision relayée et soutenue par la télévision nationale et de nombreux journaux. En juin 2008, la Bosnie a ainsi reçu l’Azerbaïdjan devant… 40 personnes! Trois heures plus tôt, un autre match, en faveur des enfants malades, a lui réuni 20 000 personnes à Sarajevo. Une rencontre humanitaire disputée sous le slogan «Sauvons le football bosnien!»

Du côté des clubs, la situation n’est guère plus reluisante. Là aussi, la FSBiH est sous le feu des critiques. La Bosnie-Herzégovine est en effet le pays européen où l’avantage du terrain est le plus important. On y reporte en effet le plus grand taux de victoires à domicile et de défaites à l’extérieur. Une situation troublante. Durant la saison 2007-2008, les clubs de première division ont remporté 25 matchs à l’extérieur et fait 24 matchs nuls sur 240 rencontres. 80% des matchs se sont donc soldés sur une victoire de l’équipe hôte. En comparaison, ce taux est de 27% en Angleterre et en Allemagne et de 29% en Espagne pour la même saison. La situation est également bien meilleure chez les voisin serbes et croates. Pour illustrer ces chiffres, Duisbourg, dernier de Bundesliga, a remporté 5 matchs à l’extérieur tandis qu’il a suffit de 4 victoires et d’un nul à l’extérieur à Modrica pour remporter le championnat de Bosnie. Une équipe de Modrica qui compte par ailleurs 14 victoires pour une seule défaite à domicile cette saison-là. La pression des supporters complique fortement le travail des arbitres et des joueurs visiteurs durant les matchs. Ces derniers sont constamment exposés aux jets de pierres et autres objets, même lorsque la situation est calme sur le terrain. Devant ces matchs au résultat prévisible, la violence dans les tribunes et la passivité ostensible de la FSBiH, une très grande partie du public délaisse les stades.

Fuad Kasumovic, député-ministre des Finances et président du FC Celik Zenica, s’est élevé contre cette inaction de la FSBiH, et contre ses dirigeants dont les démêlés avec la justice ont selon lui «terni l’image de la Bosnie et de son football. Leurs problèmes avec la justice sont un secret public, a-t-il déclaré en août 2005, à une époque où les procès n’avaient pour la plupart pas débuté. Même les gamins qui jouent dans la rue le savent, que ces gens ne sont pas à la hauteur.» Kasumovic a été suspendu de la présidence de son club par la Fédération peu après ces déclarations.

L’avenir de la FSBiH est donc bien sombre. Car outre l’aspect financier et la désertification des stades, un autre problème se pose, celui de la fuite des plus jeunes joueurs. Devant les faibles installations, le manque d’entraînement et de moyens, le niveau de l’élite nationale et tous les aléas qui composent la vie des clubs et de leurs joueurs, les plus jeunes ne songent qu’à partir. «Ca ne peut arriver qu’en Bosnie», raconte Jasmin Buric, 21 ans, gardien du Celik Zenica. «Ils veulent tous partir pour progresser tant qu’ils sont encore jeunes.» Après avoir honoré sa première sélection lors du fameux matchs contre l’Azerbaïdjan de juin 2008, Buric est lui aussi parti cette saison, en Pologne, au Lech Poznan. Après une rude bataille dans la jungle des agents véreux qui sévissent un peu partout en Bosnie.

Dans la plupart des cas, ces agents placent comme ils peuvent les jeunes joueurs pour empocher leurs commissions, sans tenir compte des intérêts du joueur ni de sa progression. Dans de rares cas cependant, la chance et le timing sont bons. Edin Dzeko en est le meilleur exemple. Licencié au Zeleznicar Sarajevo, il profite du départ de son entraîneur Jiri Plisek, renvoyé. Lorsque celui-ci trouve un poste sur le banc de Teplice, il fait rapidement venir Dzeko. Avec la réussite que l’on connaît puisqu’il n’a fallu que deux saisons en République Tchèque pour que l’attaquant signe à Wolfsbourg.

Parti à 21 ans, Dzeko a joué assez longtemps au pays pour être repéré par les sélectionneurs des équipes de jeunes. Ce qui n’est pas forcément évident lorsque les jeunes partent tôt à l’étranger. En effet, la FSBiH ne dispose d’aucun système de suivi des jeunes Bosniens partis à l’étranger. Aucun scout. La diaspora profite donc parfois à d’autres sélections. Lorsque le jeune Zlatan Ibrahimovic contacte la Fédération pour lui demander un test en vue d’intégrer les sélections de jeunes, un dirigeant lui répond : «Des Ibrahimovic, j’en ai plein des bus pleins ici.» Le tout jeune attaquant de Malmö ne jouera jamais pour le pays de son père. Autre exemple, celui de Sanel Kapidzic. Milieu de terrain de 18 ans, Kapidzic joue à Aarhus, au Danemark. «J’ai toujours voulu jouer pour l’équipe nationale de Bosnie,» plaide-t-il. Mais lassé d’attendre une réponse des dirigeants de la FSBiH, il a aujourd’hui décidé de rester au Danemark et de jouer pour sa sélection.

Les sélectionneurs et joueurs bosniens doivent donc jongler entre des conditions de formation précaires et une faible supervision à l’étranger. Au final, les internationaux actuels jouent tous à l’étranger et ont en général quitté leur pays autour de 20 ans: Emir Spahic à 21 ans, Elvir Rahimic et Dario Damjanovic à 23 et Sejad Salihovic à 20 ans. Vedad Ibisevic a lui rejoint la Suisse à 16 ans mais ne doit son arrivée en sélection qu’à son épanouissement à Hoffenheim. D’autres son nés à l’étranger mais barrés dans leur pays de naissance, ils ont opté pour la Bosnie. C’est le cas notamment des Allemands Zvjezdan Misimovic et Zlatan Bajramovic. D’autres ont grandit à l’étranger, y ont été internationaux juniors mais ont finalement choisi leur pays de naissance, comme Miralem Pjanic, qui a grandit au Luxembourg, Zlatan Muslimovic en Suède ou Asmir Begovic au Canada. Si le niveau de l’équipe nationale est pour le moment en hausse, qu’en sera-t-il lorsque les plus anciens, comme le capitaine Spahic, 29 ans, et la plupart de ses coéquipiers auront quitté les terrains? Quinze joueurs sur les 26 sélectionnés pour les barrages contre le Portugal ont 27 ans ou plus.

Beaucoup de questions se posent donc sur l’avenir de la sélection bosnienne, et sur celui de son football en général. Et l’opposition généralisée à la FSBiH n’arrange rien. Ainsi, le défenseur des Rangers Sasa Papac a-t-il quitté la sélection en mars 2007 pour protester contre les dirigeants de la Fédération. «Trop de choses ne vont pas à la Fédération, avait-il alors déclaré. Il y a trop de problèmes avec le président, le directeur sportif et d’autres. J’aimerais jouer pour mon pays mais je ne le ferai pas dans ces circonstances. C’est une honte pour la Bosnie, il y a trop de politiques impliqués dans la Fédération.» Revenu durant la brève apparition de Meho Kodro sur le banc en 2008, il a définitivement pris sa retraite internationale dès le renvoi de ce dernier. D’autres internationaux, moins connus, lui ont emboîté le pas. Une situation qui ne plaide pas en faveur de la FSBiH. La justice a commencé le ménage, mais il faudra sûrement encore beaucoup de patience aux supporters avant que la situation ne redevienne saine. Si elle le devient un jour.

Source: OCCRP