Scorniceşti, 12 500 habitants au milieu des champs du sud de la Roumanie. Autrefois village paisible, Scorniceşti a acquis une renommée mondiale: elle est la ville de naissance de Nicolae Ceauşescu. Pas étonnant alors que son club de foot, le FC Olt Scorniceşti ait une histoire unique, malgré une existence plutôt courte (1972-1990). Le temps de vivre une ascension fulgurante et de voir passer des joueurs comme Ilie Bărbulescu, Adrian Bumbescu, Ilie Dumitrescu, George Mihali, Dorinel Munteanu, Dan Petrescu, Victor Piţurcă ou Ilie Balaci porter ses couleurs.
Fondé en 1972 sous le nom de Viitorul Scorniceşti (L’Avenir Scorniceşti), le club prend son nom définitif dès la saison suivante. Cinq ans plus tard, le FC Olt Scorniceşti réussi sa première promotion. Le club passe en Divizia C puis en B, la deuxième division, dès la saison suivante après un match remporté 18-0 lors de la dernière journée face à l’Electrodul Slatina. 18 buts d’écart, juste ce qu’il fallait pour passer devant son adversaire du jour au classement… « J’ai vécu toute l’histoire de cette équipe » raconte aujourd’hui Ion Anghel, gardien de but. « Ce match, mais aussi toute la saison en B. »
Le FC Olt Scorniceşti n’est resté qu’une saison en Divizia B, avec le titre de champion à l’issue de cette saison 1978-1979. Ce qui fait alors de Scorniceşti la seule ville rurale ayant un club à ce niveau au plan national. Le soutien présidentiel n’y est évidemment pas pour rien, et les ressentiments commencent à s’en faire sentir. Lors d’une partie disputée sur le terrain du Rapid Bucarest par exemple: « Le stade était bondé« , remémore Anghel, « les gens de Bucarest étaient curieux de nous voir. Ils nous ont finalement battu 2-0 et le public chantait: « Les paysans sont sur le pré! » et injuriait Ceauşescu« . Le défenseur Aurel Mincu se souvient lui d’un match face au Metalul Bucarest: « On jouait chez nous, dans le vieux stade en fer. Le score était toujours de 0-0 à la 80e minute, quand ils ont marqué, après une action très correcte. On met le ballon au centre du terrain, mais Mitică Dragomir, notre président (aujourd’hui président de la FRF), qui regardait le match depuis un tabouret sur le bord du terrain, derrière l’arbitre de touche, m’appelle et me dit: « Va voir l’arbitre et dis-lui qu’il y avait hors-jeu avant le centre! » L’arbitre attend que j’aille le voir, va voir son assistant, qui lui dit qu’il y avait hors-jeu, et le but est annulé! En signe de protestation, les joueurs du Metalul ont tourné le dos au ballon. Soarece est parti seul avec le ballon: but. Ils remettent le ballon au centre du terrain, engagent, tournent le dos et nous marquons de nouveau. Quand il a vu ça, l’arbitre a tout de suite sifflé la fin du match. C’était la 82e minute, et le score est resté à 2-0. »
Une vue du centre-ville, avec ses blocs à 4 étages, constructions typiques du communisme roumain dans les années 80.
La ville compte alors 6 000 habitants, et Ceauşescu compte en faire son laboratoire expérimental. Elle sera une des premières, dans les années 80, à être entièrement reconstruite. Les maisons traditionnelles laissent alors la place aux blocs de 4 étages. La Systématisation est en marche. Les villages sont rasés et la population déplacée et entassée dans les nouveaux « centres agro-industriels », tels que Scorniceşti. Toute la Roumanie rurale subira alors cet outrage imaginé par le Conducător pour faire entrer le pays dans son « âge d’Or agricole et industriel« . Ion Anghel est arrivé avant ces transformations: « quand je suis venu à Scorniceşti pour la première fois, transféré par le Sportul Studentesc Bucarest, je suis resté deux heures à l’intersection précédant l’entrée de la ville. Aucune voiture n’est passée! Il n’y en avait que deux dans tout le village. Et cette boue, toute cette boue! » Le stade se situait à l’entrée de la ville, à côté de l’ancien abattoir, du bloc où logeaient les joueurs et du bar. « C’était La Mecque du village« , reconte Mincu. « Même si tu ne buvais pas, où aller? Alors on restait à table, à parler. C’était comme dans les films, un gars entrait, tapait la porte contre le mur et demandait: « T’es où? » à celui qu’il cherchait. Parfois, personne ne répondait, et parfois on entendait une voix disant: « Je suis là! » Ils sortaient – s’ils en étaient encore capables! – et se battaient. Soyons clairs, personne ne jouait ici pour l’amour du maillot, nous étions tous des mercenaires! Celui qui venait ici le faisait pour l’argent. Après, nous étions footballeurs, que l’équipe soit menée par les Bărbulescu, des parents de Ceauşescu, on s’en fichait. »
Pour sa première saison en Divizia A, le club s’offre rapidement un tout jeune joueur, encore inconnu: Victor Piţurcă. Mincu raconte son arrivée: « On s’est purement et simplement retrouvé avec lui dans le vestiaire 20 minutes avant le match face au FC Argeş. Les dirigeants nous l’ont présenté en disant: Il s’appelle Piţurcă et vient des Panduri Târgu-Jiu. Il a été titulaire, a marqué et on a gagné 1-0. C’était un garçon fin et un joueur racé. Il disait qu’il ne fallait jamais rien laisser au hasard, qu’il faut toujours avoir le contrôle sur le jeu et l’adversaire. Il appliquait cette maxime partout, sur le terrain comme aux cartes. Il a réussi à mettre Halagian, notre entraîneur, hors de ses gonds en jouant au rummy! » Le futur sélectionneur national restra quatre saisons à Scorniceşti, avant d’être transféré au Steaua Bucarest, où il gagnera tout, y compris la Coupe d’europe des clubs Champions en 1986. D’autres feront le même chemin, comme Ilie Bărbulescu, Ilie Dumitrescu, Adrian Bumbescu ou Dan Pestrescu, qui rate lui la C1 d’une petite saison.
Cette saison 1979-80 s’est terminée comme la précédente: par un match truqué. Mais cette fois-ci, contrairement au 18-0 qui a permis sa montée, ce n’est pas au profit du FC Olt. « Nous jouions à Târgu Mureş lors de la dernière journée, raconte Mincu. L’ASA Târgu Mureş était alors en lutte directe avec Târgovişte pour le maintien. Deux colonels sont venus nous voir avant le match nous proposer de l’argent pour laisser gagner les locaux. Ils nous ont dit qu’ils nous battraient même si nous ne prenions pas l’argent. Târgovişte nous a proposé de l’argent aussi, un peu plus même. Mais nous avons choisi d’accepter la proposition des colonels, qui était plus «sûre». Ils nous ont battu 7-0 et se sont sauvés à la différence de but, Târgovişte n’ayant battu Timişoara que 5-1. A la fin du match, nous leur avons demandé de nous laisser marquer un petit but. Un de leurs joueurs a alors donné le ballon à Iamandi, qui est allé marquer. Mais le juge de touche avait levé son drapeau pour hors-jeu! Ispir, le défenseur adverse, a couru le voir en lui hurlant: Mais quel hors-jeu, t’es malade? Tu n’as pas vu que c’est moi qui lui ai fait la passe?! Le but n’a quand même pas été accordé. »
Dans la Roumanie post-Systématisation imaginée par Nicolae Ceauşescu, Scorniceşti ressemble aujourd’hui à beaucoup d’autres villes rurales. Seul signe distinctif: son stade. Bien installé en première moitié de tableau depuis son accession à la première division, le club décide en 1985 de l’édification d’une monumentale arène. Le stade Viitorul (L’Avenir) a en effet la particularité de pouvoir accueillir 25 000 personnes, lorsque le village ne compte que 6 000 habitants! Lors de son inauguration, en 1988, il est le premier stade de Roumanie équipé de siège en plastique et d’une tribune semi-couverte. Le terrain dispose même d’un système de drainage encore efficace aujourd’hui.
Ion Preda, l’administrateur du stade lors de son inauguration, se rappelle amusé que « le terrain était prévu pour faire 120 mètres de long et 90 de large. C’était énorme! Lors de l’inauguration, nous avons battu l’U Craiova 6-2. Cîrţu, leur entraîneur, nous traitait de fous après le match. » « Un officiel de la fédération est venu quelques jours après le match, raconte Anghel, l’ancien gardien de but. Ils nous a dit qu’on était fous, qu’il ne pouvait pas homologuer un terrain aussi grand. Il est alors passé à 100 mètres sur 70, mais quand certaines équipes venaient, on ajoutait dix mètres de largeur. Qui pouvait le voir? »
Notez la longueur et la largeur de la pelouse!
« Il était magnifique! » s’exclame aujourd’hui Ion Miu, un ancien du club, en parlant du stade. « Vraiment! Tout était joliment peint, mais il n’en reste rien. » Et effectivement, difficile d’imaginer aujourd’hui une arène flamboyante quand on voit son état actuel. La route d’accès oblige à zigzaguer pour éviter les nids-de-poule et le parking est boueux. Quant au stade lui-même, personne ne s’en est occupé depuis des années. La peinture a disparu des murs, l’entrée est sombre, les lumières ne fonctionnant plus, des morceaux de murs et de plafonds jonchent les sols, les chambres de l’étage, réservées aux joueurs, sont occupées par des sans domicile fixe, et l’entrée sur le terrain se fait par une salle qui était à l’origine… le bar!
L’état du parking, digne des plus belles routes départementales du sud de la Roumanie…
« J’ai vu ce super stade devenir ce bâtiment hideux, » déplore Teodoresav, un des joueurs actuels de l’équipe. Tout a commencé lorsque l’équipe est descendue en quatrième division. » A ce niveau, régional, le club n’intéresse plus les sponsors, qui partent les uns après les autres. Sans revenu, le FC Olt n’est plus en mesure de maintenir son stade en état. « Notre club bénéficiait d’infrastructures que même les clubs bucarestois n’avaient pas à l’époque, continue Teodoresav. Il y a une belle piscine et un sauna à l’intérieur, pour la récupération, mais plus rien ne fonctionne. » Dans les tribunes, seule celle couverte a conservé ses sièges. Les autres sont nues, plus de siège ni de banc en bois. L’érosion dessine des vagues sur le haut des constructions. Ion Preda glisse pourtant que « la structure de résistance de l’arène est prévue pour résister 400 ans. »
« C’est triste de jouer ici, dans ce grand stade sans public, » avoue Marius Stan, ancien joueur du club devenu son entraîneur. L’équipe joue en effet ses matchs devant 70 spectateurs en moyenne. Un point noir dans l’immensité grise de ce stade vide. « C’était une différente histoire à l’époque. Je suis arrivé en 1988, l’équipe était au top. Mais tout a changé en 1989. A la révolution, le club a été rétrogradé en troisième division. Presque tous les joueurs sont partis. Nous sommes remontés en Divizia B, avant de redescendre. C’est vraiment triste. » Même son de cloche chez Ion Miu, qui lâche ces phrases terribles: « C’était le bon temps sous le communisme. Tout était mieux sous le communisme. »
A sa décharge, la vie était indéniablement plus facile sous le communisme pour les habitants de Scorniceşti. « Avant 1990, c’était l’Occident à Scorniceşti! insiste Ion Anghel. On trouvait librement de la viande, du lait, des œufs, du chocolat, du Pepsi -une boisson américaine interdite en Roumanie! – tout ce qu’on voulait! Des gens venaient de Bucarest s’approvisionner ici! » Marian Bondrea, l’entraîneur du club en 1989, va dans le même sens, avec quelque réserve: « Oui, c’est vrai, on peut dire que nous étions des privilégiés. Nous pouvions acheter n’importe quoi à une époque où tout était rationalisé. Mais c’était comme ça pour tous les clubs. Le football était une priorité à l’époque. » Et comme il n’y avait que le football à Scorniceşti, l’entier village pouvait bénéficier de ce traitement de faveur. Ce qui, malgré une image indéfectible de « club du village natal de Nicolae Ceauşescu« , ne pousse pourtant pas ses acteurs à le voir comme le club du dictateur.
De fait, le Président de la République Socialiste ne prenait apparemment pas une grande part décisionnaire dans la vie du club. L’homme fort, à la base de la création du club, est Vasile Bărbulescu, le beau-frère de Ceauşescu, à qui succèdent Gheorghiţă, son frère, et Emil, son fils. L’édification du stade Viitorul se décide par exemple sans lui. Selon Ion Preda: « Nicolae Ceauşescu n’a jamais été au courant que nous construisions un stade aussi grand. Il est venu un an avant l’inauguration avec Jivkov, le président bulgare. On avait tout recouvert pour que les travaux ne soient pas visibles en hélicoptère. Quand tout a été prêt un an plus tard, il n’a rien dit. »
Les rares fois où Ceauşescu s’immisce dans la vie du club, ce n’est en fait pas pour son bien. Il se raconte en effet qu’après les deux promotions en Divizia C puis B en 1977 et 1978, Nicolae Ceauşescu ne souhaitait pas d’une troisième promotion en trois ans par superstition. Chaque promotion avait coïncidé avec la mort d’un membre de sa famille! Le club est tout de même monté en première division en 1979, sans que la superstition ne se vérifie. Plus sérieusement, si le club n’a jamais fait mieux qu’une quatrième place en championnat, c’est que le dictateur en avait fermement décidé ainsi. Marian Bondrea l’affirme: « J’étais encore inconnu en 1989, c’était ma première expérience dans l’élite. Je n’ai pu rester qu’une saison au FC Olt, mais ça a été une expérience extraordinaire. Sincèrement, on ne sentait pas d’influence de Nicolae Ceauşescu. Les dirigeants nous demandaient de tout faire pour battre le Dinamo, ce que nous avons d’ailleurs fait cette année-là (1-0). A part ça, nous n’avions aucune pression, pas d’objectif clairement défini. Il nous fallait juste nous maintenir en première partie du classement, mais sans nous qualifier pour l’Europe. C’est difficile à croire, mais on ne voulait pas que FC Olt participe à une coupe européenne. Par exemple, nous étions cinquièmes en 1989 avant la dernière journée. Nous pouvions l’emporter contre le Victoria Bucarest et aller en UEFA, mais nous avons compris que ce n’était pas une priorité. » Malgré la motivation des Bărbulescu, également issus du village, le club n’outrepassera pas la volonté présidentielle.
Le Conducător n’est en fait pas un grand fan de football, qu’il ne suit qu’avec distance, voire un certain dédain. Seul le prestige du pays, de l’Homme communiste roumain nouveau et de sa famille importent vraiment. Et le football, comme toute autre manifestation, doit y participer. D’où un intérêt pour les résultats de l’équipe nationale et du Steaua, une équipe dont il a participé à la création et qui est conduite par son fils Valentin. Une anecdote l’illustre. « Je n’oublierai jamais ce match de 1982 contre le Jiul Petroşani, raconte Mincu. Juin, fin du championnat, il fait une chaleur suffocante. C’était à l’époque de la récolte, les hommes étaient aux champs. Du coup, il n’y avait qu’une centaine de personnes au match, toutes regroupées à l’ombre, dans la tribune latérale. Quand nous sommes revenus sur le terrain après la mi-temps, ils étaient tous au soleil dans la tribune d’en face. Nous nous demandions ce qu’il se passait. Il s’est en fait avéré que Ceauşescu désirait regarder le match depuis Bucarest. Les équipes de télé ne sont arrivées qu’à la pause, ils ont monté les caméras, mais on voyait en fond la tribune entièrement vide. Pour éviter cette mauvaise image, nos dirigeants sont allés rapidement faire déplacer les spectateurs pour que le Camarade voie qu’il y avait du monde au match! »
Impossible aujourd’hui de faire illusion. Personne ne vient voir les matchs du FC Olt. Rétrogradé en 1990 en troisième division par le gouvernement post-communiste, le club lutte aujourd’hui dans le ventre mou de la quatrième division, avec une équipe majoritairement composée de jeunes. Loin de l’élite, loin de l’Europe, sans avenir, mais avec une histoire chargée et une image toujours lourde à porter.
Source: Prosport.ro
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7 commentaires
Comme quoi, avec de l’argent et de l’autorité, on peut « bâtir » une équipe de foot sur du néant. Ca fait un point commun entre Aulas et Ceausescu …
Ca valait la peine d’attendre. De bien « jolies » anecdotes!
Merci Bolivar!
Il est où le bouton « j’aime »?
alors là, chapeau (cescu)
superbe article!
[...] Para más información sobre la historia del equipo, sus amaños y fotos del campo, recomiendo este artículo en francés del Parlons [...]
En suivant le lien vers l’article ci-dessus, vous pourrez trouver des photos provenant d’un article écrit par un Hongrois qui a fait le déplacement à Scornicesti. Ses photos sont tout simplement fantastiques!