Ilia Pavlov est mort en 2003, à 43 ans. Lutteur (la lutte est le sport le plus populaire en Bulgarie), puis tout à tour journaliste, employé de ministère, président de multinationale puis d’un bureau de supervision bancaire et homme politique, il devient président du Varna Cherno More FC avant d’être élu à la tête du CSKA Sofia. Il est alors l’homme le plus riche de Bulgarie, avec une fortune personnelle estimée à 1,5 milliard de dollars. Un attentat à la bombe vise sa voiture – une BMW blindée – en 1997, mais c’est en 2003 qu’il est finalement abattu, par une balle tirée en plein cœur par un sniper. D’autres ont voulu imiter Pavlov. Certains y ont laissé leur vie. Depuis 1989, 15 présidents ou propriétaires de clubs bulgares ont ainsi été tués. Le côté obscur de la transition du communisme au capitalisme.
Comme Pavlov, la plupart des hommes influents dans le foot bulgare sont issus de la lutte. Ceux-ci ont tout d’abord développé des entreprises de sécurité, qui se sont développées au point de leur permettre d’investir dans le foot. «A l’instar des autres pays communistes, la Bulgarie avait un système d’écoles de sports très développé. La plupart de ces écoles ont fermé dans les années 1990 et leurs élèves – lutteurs, boxeurs, athlètes et haltérophiles – sont restés désœuvrés. Ils se sont spécialisés dans le racket,» explique aujourd’hui Tikhomir Bezlov, du Centre d’études de la démocratie. «Une fois riches, ils étaient en quête de légitimité. Et le stade, le club de football leur donnaient accès à l’élite. Dans les loges du stade, ils pouvaient siéger à côté des députés. Ainsi, c’est par hasard que l’homme d’affaires russe Michael Chorny a acquis le Levski Sofia et que deux autres clubs, le CSKA Sofia et Cherno More Varna ont appartenu au défunt Ilia Pavlov.». Ces entreprises de sécurité ne sont donc qu’une façade destinée à pratiquer le racket et divers trafics, notamment de drogue.
Mais le hasard et la reconnaissance ne sont pas les seuls facteurs qui poussent à investir dans le foot. «Posséder un club de football est aussi une opportunité de blanchiment d’argent,» explique Tikhomir Bezlov. Ilia Pavlov était ainsi le fondateur de Multigrup, une entreprise spécialisée dans les jeux d’argent et les dettes de jeu, le vol de voitures et la prostitution.
La carrière de Pavlov est en fait celle d’un jeune sportif entré dans les structures de la Sécurité d’Etat communiste, un moyen facile d’accéder à un statut social important et d’avoir une grande influence politique à l’époque. Marié à la fille de Peter Chergilanov, un général de la Sécurité d’Etat, sa promotion dans l’élite communiste a été fulgurante. Devenu l’homme le plus riche de Bulgarie, il obtient la citoyenneté américaine après plusieurs années d’attente, mais revient en Bulgarie en 2003, pour témoigner au procès du meurtrier d’Andrei Lukanov, le Premier ministre bulgare tué devant chez lui en 1996. On connaît la suite. Et aujourd’hui, le Varna Cherno More est détenu par TIM, une autre grande puissance économique.
Malgré cette fin précipitée, sa réussite a inspiré pas mal de lutteurs, dont la plupart ont travaillé pour lui comme gardes du corps au sein de sa société, qui était la plus grande du pays au début des années 90. Ces derniers ont ainsi accédé à la tête de nouvelles sociétés de sécurité, qui sont rapidement devenues des conglomérats économiquement très puissants. Et à leur tour, ils ont investi dans le football. Quelques-une de ses gardes du corps ont ainsi créé SIK, une entreprise qui a longtemps contrôlé le Slavia Sofia, l’un des plus grands clubs du pays. Et comme Pavlov, un bon nombre d’entre eux sont morts lors de véritables batailles de rue en plein Sofia.
C’est tout d’abord Stoil Slavov, président d’Interpetrolium et directeur de SIK, qui est tué en janvier 2004 avec trois de ses gardes du corps dans l’ascenseur même du siège de la société lors de l’explosion d’une bombe. Slavov était un ami intime de Mladen Mihalev-Madjo, le président du Slavia.
Le 30 septembre 2004, c’est Milcho Bonev qui est tué dans un restaurant du Slavia par des hommes habillés en policiers. Cinq de ses gardes du corps tombent avec lui. Bonev, ancien policier, proche de Mihalev-Madjo, était l’un des fondateurs de SIK. Il était responsable du recrutement au Slavia Sofia lors de son assassinat. Après ces deux tueries, Mihalev-Madjo, craignant pour sa vie, a décidé de partir se cacher à l’étranger et a cédé les rênes du club à Ventsislav Stefanov, un autre fondateur de SIK. Quelques mois plus tard, le 6 avril 2004, Dimitar, le fils de Stefanov, est enlevé, sans qu’on ait plus de nouvelles de lui. Un autre des fondateurs de SIK, Dmitri Rumen, sera lui abattu d’une balle à la fin de la même année.
Mais les affaires ne se limitent pas qu’au Slavia, ni même à Sofia. Le Lokomotiv Plovdiv est ainsi bien plus connu pour ses sulfureux présidents que pour ses exploits sur le terrain. Le club affichait déjà un fort taux de mortalité avant que VIS, un autre groupe controversé, arrive à sa tête. Mais avec son arrivée, et celle de Georgi Iliev comme président, sa croissance est vertigineuse! En 12 ans, six personnes associées à la tête du club sont morts de mort violente. Sans que, évidemment, aucun assassin ne soit retrouvé…
Le premier de la liste est George Kalapatirov. Ancien lutteur lui aussi, il est parti faire affaires en Italie avant de revenir au pays assez riche pour acheter le Lokomotiv, qui est le club le plus populaire de Plovdiv, la deuxième ville du pays. En 1993, Kalapatirov créé avec Peter Petrov et Nikolai Popov une société nommée Multisport, qui prend les rênes du Loko. Il fait ensuite partie des créateurs du 777 Club, une organisation de sécurité qui est devenue célèbre en Europe de l’Est pour faire chanter les hommes d’affaires et pour ses affrontements contre d’autres organisations criminelles. Début 1995, Kalapatirov et Petrov quittent cependant ce 777 Club pour devenir les représentants de VIS à Plovdiv. Le 6 avril de la même année, Kalapatirov est tué d’une balle dans le cœur, près de Plovdiv.
George Prodanov prend alors sa succession au club. Connu pour avoir créé Ikar, une société de prêt située au cœur de plusieurs affaires d’escroquerie, Prodanov n’a pas été tué: il est mort dans un accident de voiture après que ses freins eurent été coupés. C’est ensuite le tour de Peter Petrov, ancien vice-champion d’Europe de lutte, d’être tué d’une rafale de Kalashnikov devant chez lui le 24 mars 1998.
Il ne reste alors plus du trio fondateur de VIS que Nikolai Popov. Il tiendra bon à la tête du Lokomotiv jusqu’au 2 mars 2005, où il est abattu après avoir été bastonné.
C’est à ce moment qu’arrive Georgi Iliev à la tête du club. Patron de VIS depuis 1995 et le décès de son frère Vassil, Georgi possède la majorité des parts dans le club depuis 2001 déjà. Il ne tient que 5 mois à la présidence du club. Le 25 août, il est atteint en plein cœur par une balle tirée par un sniper devant un hôtel du bord de la Mer Noire. Moins d’une heure plus tôt, il fêtait encore avec ses joueurs la qualification au premier tour de la Coupe UEFA après une victoire contre l’OFK Belgrade en tour préliminaire. Après des funérailles dignes d’un homme d’Etat – Hristo Stoichkov lui-même y est présent! – Maya, sa veuve lui succède à la tête du club avant de le vendre en 2005 à Alexander Tasev, un homme d’affaires de Kyustendil, la ville d’Iliev.
Tasev fait partie des hommes les plus riches de Bulgarie. Il est connu comme exportateur de cerises, propriétaire d’une usine de chaussures à Kyustendil, d’une usine de production de vin et pour avoir également fait affaire dans les produits pétroliers. Le 14 mai 2005, quelques semaines après avoir repris le Loko, Tasev est retrouvé mort dans sa Mercedes garée devant sa luxueuse maison. Mort par balles. La police a rapidement privilégié le règlement de compte sur fond de trafic de drogue, mais une fois encore personne ne se retrouve sur le banc des accusés.
Voila le destin des présidents du Lokomotiv Plovdiv, qui attend peut-être Konstantin Dinev, l’actuel président du club. Mais Ilia Pavlov, le Slavia et le Loko ne sont pas les seuls à subir la violence. On peut également citer Yordan Andreev, président du Marek Doupnitza, club de deuxième division, battu et hospitalisé en novembre 2008, ou Anguel Bontchev, président du Litex Lovech, qui a été enlevé la même année, avant que sa femme ne le soit lors de la remise de sa rançon! Cette dernière n’a été libérée qu’après la remise d’une nouvelle somme d’argent. Le Botev Vratza, club de deuxième division, a lui aussi vu son président se faire tuer cette même année 2008. Au total, on estime à plus de 200 le nombre de morts violentes dans le football bulgare depuis 1989. Président de club, un métier dangereux Bulgarie, où la corruption et la mafia sont encore bien présentes. Depuis l’entrée dans l’UE, les autorités ont beaucoup fait afin d’éradiquer ces fléaux, mais il reste encore bien du travail…
Source: OCCRP.
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C’est simple… Ca fait peur !
Oh ! André-Pierre ! Si à la 34ème journée tu n’inscris pas un triplé à Gerland… Pour toi, ce sera un transfert avec un statut de joueur/président au Lokomotiv Plovdiv.
… N’empêche que ça fout bien les jetons.
Ça fait peur hein! En tout cas merci de t’intéresser Stef, parce que ça déplace pas les foules! ))))
Que veux tu mon ami… C’est le printemps !
Après le boulot, seuls ou en famille, j’imagine que les PFooteux doivent être en goguette…
Ne se connectant qu’à la mi-temps des matchs, lors des retransmissions à la télé…
Et encore… ils doivent avoir droit à des réflexions de la part de leurs femmes ou de leurs copines.
- » T’es encore en train de lire un sujet de PJ ? ».
- » J’te préviens, si t’arrêtes pas de suite, aucune chance que l’abeille trouve de quoi butiner ce soir ! »
On est les derniers specimens de geek du site.
Concernant le sujet, en cette période où Platini a fait du fair-play financier son cheval de bataille, c’est quand même étonnant que l’UEFA n’ai pas un réglement pour contrecarrer l’infiltration du football par les mafias.
Tout ces meurtres… Ils pourraient au moins avoir une réaction.
Je crois qu’il y en a un qui a dit: « oh la la, mais ce n’est pas très aimable (et son orchestre) ». Ça réagit grave.
Le cynisme de ces mecs…
La mondialisation du football c’est surtout quand ça les arrange à l’UEFA.
J’imagine bien un communiqué du style, « c’est un problème bulgare et nous n’avons pas pour habitude de nous immiscer dans la politique des états ».
Dans le foot aussi c’est qui peut le plus, peut le moins.
Wouaouh! Ça barde là haut!
Le décalage horaire entre la Bulgarie et l Europe de l ouest, c est combien.
Parce qu au vu de cet article, je dirais 1 siècle 0_o
[...] – http://www.parlonsfoot.com/archives/2011/04/11/le-dangereux-metier-de-president-de-club-bulgare/ [...]