Arrivé en grandes pompes, Gignac est poussé vers la porte de sortie du côté de l’OM et ne devrait pas forcément prendre une place de choix dans le coeur des supporters marseillais. Tout le contraire de Gunnar Andersson, sauf la fin. Arrivé par hasard dans un club d’un pays inconnu, Andersson est passé du statut de réserviste à celui de héros inoubliable. Un héros inoubliable finalement aussi vite oublié qu’il était adulé. C’est la folle histoire d’un Suédois à l’OM, et tout ça avé l’assent.
Trois années seulement après son dernier titre de champion de France (1948), l’Olympique de Marseille n’est pas au mieux. Huitièmes du championnat lors des deux dernières saisons, les Olympiens du président Louis-Bernard Dencausse voient leurs difficultés augmenter au fil des rencontres. C’est à ce moment que débarque en Provence Gunnar Andersson, un jeune scandinave chétif et un peu paumé, mais promis à entrer définitivement dans le cœur des supporters phocéens.
Son arrivée à l’OM est une histoire incroyable à elle seule. Elle débute quelques mois plus tôt, à Göteborg. Natif du nord de la Suède, le jeune Gunnar n’est en 1948 qu’un simple réserviste de l’IFK. Plombier dans le civil, ce joueur plein d’avenir touche 25 couronnes par match. Bien plus que les 15 couronnes que touchent alors les meilleurs joueurs du pays. Trop pour les têtes pensantes du football suédois, qui ne jurent que par l’amateurisme. Gunnar veut partir. Alors qu’il effectue son service militaire, il décide de faire le mur pour disputer en Espagne un tournoi avec le KB Boldklub, club de Copenhague triple champion du Danemark en titre.
C’est à Barcelone, durant ce tournoi, qu’il est repéré par Willy Wolf, l’entraîneur du Stade Français. Son club n’en profite cependant pas. C’est Dencausse qui fait main basse sur le joueur. Accompagné par Wolf dans le train Paris-Marseille en janvier 1951, Andersson n’arrive cependant pas à destination. Deux hommes invitent le Suédois à descendre en gare d’Avignon, avant de l’emmener dans une Traction avant noire. Direction un hôtel discret proche de la Canebière dans le plus grand secret. Car Gunnar Andersson est toujours considéré comme un déserteur dans son pays. Pis, il est arrivé en Espagne sous une fausse identité ! Sept mois de démêlés administratifs seront nécessaires à la régularisation de sa présence sur le sol français. Et Dencausse doit dépenser plus de quatre millions de francs de l’époque dans l’affaire.
C’est ainsi qu’il peut enfin, à 23 ans, jouer sous le maillot phocéen. Il est immédiatement affublé du peu flatteur sobriquet de « 10h10 » par ses coéquipiers en raison d’une malformation. Mais c’est de ses pieds plats et écartés que viendra le salut. Dès sa première saison, Gunnar Andersson marque 31 buts, soit plus de la moitié des 52 buts marqués par son club. Il évite ainsi à lui seul la relégation de l’OM, qui ne se sauve qu’en barrages face à Valenciennes. Et s’offre son premier titre de meilleur buteur du championnat de France.
La saison suivante, 1952-53, est encore meilleure. C’est à l’issue de celle-ci qu’il bat d’une unité le record de Roger Courtois en marquant 35 buts. Un record qui ne sera battu qu’en 1971 par un autre Marseillais, Josip Skoblar, auteur de 44 buts en 1970-71. Et une fois encore, il marque plus de la moitié des buts de son équipe. Elle lui doit sa cinquième place au classement final.
Les deux saisons suivantes, l’OM replonge dans les profondeurs du classement en même temps que son buteur perd de sa superbe. Avec 19 buts, Andersson n’est que le troisième meilleur buteur de la saison 1953-54. Même chose en 1955 avec 21 buts à son compteur personnel.
1956 est une meilleure année. l’OM remonte à la troisième place du championnat, et Andersson est toujours le troisième meilleur buteur avec 20 buts. C’est également cette année-là qu’il connaît celle qui restera comme sa première et unique sélection en équipe nationale. Et c’est avec la modeste équipe de France B ! A l’instar de son compatriote Gunnar Nordhal, légende de l’AC Milan, Andersson est privé de sélection suédoise, le règlement international interdisant d’appeler des joueurs évoluant à l’étranger. Naturalisé français en 1956, il est attendu par beaucoup comme le successeur en Bleu de Raymond Kopa, récemment parti au Real Madrid. Il n’en sera rien. Loin d’être rayonnant lors du match France B-Italie, Andersson est sur le déclin. Il a beau marquer 23 nouveaux buts durant la saison 1956-57, il n’est que sixième, derrière notamment un certain Just Fontaine. Non sans marquer un quadruplé lors de la victoire 4-3 contre le champion stéphanois, ni une victoire en Coupe Charles Drago, sorte d’ancêtre de la Coupe de la Ligue, son seul titre avec l’OM.
Gunnar Andersson souffre de sa personnalité. Trop gentil, trop attachant, trop proche des supporters qui l’adulent, il a le tort de découvrir que le lait, sa boisson favorite, peut être facilement remplacé par la spécialité locale à base d’anis. L’ambiance chaleureuse régnant autour de lui fait le reste. En 1958, son sens du placement et son coup fétiche – crochet du gauche et frappe instantanée – ne suffisent plus à pallier sa piètre condition physique. Le grand Andersson n’est plus et dans son sillage, l’OM ne se maintient qu’à la dernière journée, laissant le FC Metz descendre à la différence de buts uniquement.
La gloire de Gunnar Andersson est passée. En 1958, il quitte l’OM, dont il est le meilleur buteur avec 169 buts en 220 matchs. Il part au SO Montpellier, en D2, puis aux Girondins de Bordeaux, qu’il aide à faire monter en D1 l’année même où l’OM descend en D2, et enfin à Aix-en-Provence, où il retrouve un de ses compatriotes, défenseur répondant au nom de… Gunnar Andersson ! Il erre ensuite de club en club, avant de revenir à Marseille. Sans équipe, argent ni gloire. Une nouvelle carrière s’ouvre à lui, celle de docker sur le vieux port. Une expérience entrecoupée de piges dans des clubs divers, qui vont le conduire d’Algérie jusqu’en Suède. Andersson erre telle une âme en peine. Avec Marseille comme port d’attache.
Le 1er octobre 1969, Marseille reçoit le Dukla Prague. Ironie du sort, l’ancienne gloire s’effondre, victime d’une crise cardiaque, à quelques rues d’un Vélodrome qui n’a d’yeux que pour un autre Suédois, Roger Magnusson. Gunnar Andersson, 41 ans, meurt Rue Breteuil. La légende veut qu’il soit retrouvé avec en poche un billet pour le match. Quelques semaines plus tard, un certain Josip Skoblar arrive à Marseille. Et une légende en fait oublier une autre.
Plus d’infos sur Andersson (et de nombreuses photos) sont à trouver ici ou encore ici.
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Merci pour cette page d’histoire du lundi !
C’est pour la blague ?
1962-1963 : AS Gignac ( France)
Ah, j’attendais de voir si quelqu’un allait le relever! Pas une blague non.
Thanks! Je connaissais sa triste fin mais pas sa rocambolesque arrivée à marseille.
Bonjour
Merci pour l’article. Je fait des recherches en Suede, a Säffle, a Marseille et a Paris (des archives et des interviews) et j’espere d’ecrire un article our un petit livre sur le legende de ma petite ville, Gunnar Andersson, Säffle-Gunnar. Si vous avez des suggestions, ecrivez moi. /Ã…ke Sandberg
Ici mon page Facebook sur Gunnar Andersson
https://www.facebook.com/SaffleGunnar