Le football anglais se mord-il la queue ?

City presque éliminé, United et Chelsea en danger de l’imiter, et ce dès la phase de groupes de Ligue des Champions. Tottenham et Birmingham City qui ne font guère mieux en Europa League. Et surtout une équipe nationale vieillissante et en quête de rachat sous l’égide de Fabio Capello. Non, le football anglais ne se porte pas vraiment bien en ce moment. Fatigue passagère ? Un petit périple dans le dédale des sites internet britanniques m’a fait sentir que l’inquiétude est plus profonde chez certains acteurs et observateurs.

Fort de sa puissance financière, de ses stades flambants neufs, de ses petrodollars aussi, mais surtout d’une forte culture, qui pousse les fans à remplir des stades de troisième ou quatrième division par milliers, le football anglais tient une place prépondérante dans le cirque européen. Mais pour certains, il est surtout en train de scier la branche sur laquelle il est confortablement installé.

En Premier League, compagnie dont chaque club de l’élite est actionnaire, comme en Football League, qui gère les échelons inférieurs du foot anglais – Championship, League One et League Two, soit 72 clubs – chaque club se doit de posséder un centre de formation.

Un centre de formation performant, c’est la garantie de revenus parfois exceptionnels. Comme pour Everton avec la vente de Rooney pour 25 millions de livres. Ou plus récemment pour Ipswich, qui a cédé Connor Wickham, 18 ans, à Sunderland pour huit millions de livres plus quatre autres en fonction des performances du joueur. Une aubaine pour les petites équipes.

Wickham à Sunderland

Une aubaine certes, mais à condition de ne pas se faire piquer leurs perles avant l’heure. Plutôt que de dépenser 8 millions pour un Wickham de 18 ans, les clubs de Premier League préfèrent payer une simple indemnité de formation pour un junior. N’importe quel club aurait pu arracher ce même Wickham à 16 ans pour 170 000 livres. Pour limiter cela, la FA a créé le « Tribunal system. » Sensé empêcher l’exil des 12-16 ans vers les plus gros clubs, Arsenal y compris, il oblige un club de recruter selon la règle dite des « 90 minutes. » Aucun club ne peut ainsi recruter un junior si sa famille réside à plus de 90 minutes de route du siège du club.

Sympa pour les petits clubs. Mais attention au retour de bâton. Dans la foulée de la non-qualification de leur sélection nationale pour l’Euro 2008, les Anglais ont fait une grande tempête dans leurs cerveaux – un brainstorming – et ont créé l’Elite Player Performance Plan (EPPP). Un cadeau de 90 millions de livres de la Premier League au bénéfice des 72 clubs de Football League pour le développement des aires à problèmes, dont la formation. Un cadeau empoisonné selon une partie des dirigeants. L’accord prévoit en effet qu’en échange de ces 90 millions, les équipes de Premier League pourront faire signer des jeunes de moins de 17 ans pour des sommes dérisoires. Sachant qu’une bonne partie d’entre eux ont autant de chances de faire fortune avec une pépite de 18 ans que moi de gagner à l’Euromillions – et je ne joue pas… – les clubs des divisions les plus basses, mis sous pression par une élite menaçant de suspendre le Tribunal system, préfèrent s’assurer une rente annuelle et ont signé l’accord.

Logo football League

En entérinant ce nouveau système, les clubs les moins fortunés tentent de sauver leur peau. Mais cette stratégie présente un effet pervers : n’ayant plus guère de chances de vendre un jeune joueur pour deux ou trois millions de livres, une bonne partie d’entre eux songe à fermer leur centre de formation. « Les petits clubs vont calculer combien coûte l’entretien d’un centre de formation et ne trouveront plus aucune raison d’investir de la sorte si les grands clubs de Premier League peuvent détourner leurs jeunes talents pour une bouchée de pain, plaide Barry Fry, le directeur sportif de Peterborough, club de Championship. Je crains que de nombreux clubs ne ferment leur centre de formation. » (voir ici pour en savoir plus).

En voulant tout à moindre prix, l’élite du football anglais met ainsi en péril l’avenir de la formation de tout le pays. Si la tendance se confirme, seuls subsisteront les centres de formation des plus gros clubs de Premier League et éventuellement de Championship. La Premier League se retrouverait ainsi à payer une rente pour rien…

Mais alors, pour quelle raison la Premier League souhaite-t-elle imposer l’EPPP ? Une étude récente relève que les clubs de l’élite, désireux d’embaucher à tout prix des jeunes talents mais bloqués par la règle des 90 minutes, s’orientent massivement vers l’étranger. Seuls 33% des joueurs de moins de 24 ans transférés l’été dernier d’un club à l’autre sont anglais. 32% des montants de transferts dépensées au même moment l’ont été pour des joueurs formés au pays, contre 68% pour des joueurs étrangers. Et enfin, 37% seulement des joueurs évoluant en Premier League sont anglais.

Avec l’EPPP, les dirigeants de Premier League veulent mettre en marche un modèle établi par Barcelone ou la sélection espagnole : en regroupant les jeunes les plus prometteurs dans leurs propres centres de formation, ils espèrent être plus concurrentiels au niveau des clubs comme de la sélection, grâce à des groupes plus homogènes. Selon ces dirigeants pro-EPPP, cela devrait réduire le nombre d’étrangers dans les centres britanniques. Pour le moment, la réserve d’Arsenal compte 16 étrangers sur 25 joueurs quand Barcelona B en compte 3 sur 35. La réserve de ManU compte 9 étrangers sur 24 joueurs contre 2 sur 24 à Castilla, la réserve du Real Madrid. Même chose à Liverpool, avec 12 étrangers sur 26 joueurs contre 3 sur 27 à Valence B.

Entre la volonté d’améliorer le niveau global de la formation et celle de s’accaparer les meilleurs jeunes à moindre frais, l’écart est infime. Mais à vouloir tout obtenir, quitte à se priver de la formation « d’en bas, » la Premier League n’est-elle pas en train de tirer dans le pied de tout le football anglais ?

 
Angleterre | Edito

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Oui ! La Premier League a bien l’air d’être en train de tirer une balle dans le pied de tout le football anglais.
Cette histoire d’EPPP ressemble, dans sa mise en place, à du chantage au fric fait aux petits clubs. Et comme en plus les anglais n’ont pas la réputation d’être des cadors de la formation, on se dit qu’ils vont droit dans le mur.
Depuis Rooney, on ne peut pas dire qu’ils aient sorti beaucoup de nouveaux talents. Rien de bien folichon en tout cas. A Manchester United on en trouve bien quelques-uns, de bons jeunes, mais rien qui ressemble vraiment à un futur crack mondial. D’ailleurs Rooney vient d’Everton.
Le pire c’est qu’on dit que tout les clubs de premier league sont endettés jusqu’au cou. Chaque saison on nous annonce des déficits records et je me demande bien si certains sont comblés.
Ce qui est sûr, c’est que l’afflut de joueurs étrangers en premier league, joue sur les performances de la sélection anglaise. Des stars vieillissantes, pour certains, mais peu de jeunes pour pousser dérrière.
De toutes façons, tout les dirigeants anglais tombent sur la tête. Fédération et premier league confondues. Par exemple quand tu sais que Capello est encore à la tête de l’équipe nationale, pour les résultats qu’il a eu, tu commences à te dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ou encore Quand tu vois que les reds ont mit 41 millions d’euros pour signer un joueur comme Andy Caroll… Il y a comme un problème.
Par contre, impossible de leur fourguer Gignac pour 25 millions, ça marche qu’en interne leurs coups de folie. Ils sont dingues ces britishs.
Mais c’est vrai que c’est un tort de délaisser la formation. Même si leur situation était différente, il suffit de jeter un oeil à l’Allemagne. En 98 tout le monde soulignait que la manschafft était composé de joueurs vieillissant et que la fédération avait du mal à incorporer de jeunes joueurs issus de l’immigration. Regarde depuis. Ils ont retenus la leçon et n’ont pas cessé de progresser, ils ont même été très vite, ça n’a pas traîner.
L’Espagne aussi, qui a pompé le système français, en plus en l’améliorant.
Alors les anglais ont tout intérêt à savoir ou se trouve le leur. Quant à nous si on y fait pas gaffe, à notre formation, on risque d’aller de désillusion en désillusion.

par stef, 30.11.2011 à 15h29   | Citer

L’article met bien en évidence les paradoxes du foot anglais, blindé de « pounds » mais à l’avenir incertain.
Si le réservoir de jeunes anglais ne se reconstitue pas, il faudra acheter toujours plus cher de jeunes joueurs étrangers. Le public restera-t-il attaché à une équipe de jeunes mercenaires de seconde zone ? Les meilleurs espagnols, italiens, allemands resteront chez eux. Des équipes avec 3/4 français, un argentin, un ou deux danois, quelques anglais non internationaux ? Bof, regardons jouer Newcastle aujourd’hui, on voit déjà que c’est pas terrible.

par Moriarty, 03.12.2011 à 16h58   | Citer