Certains, comme Scholes ou Henry ce week-end, retrouvent le club cher à leur coeur après quelques mois d’absence. Gyula Grosics a lui attendu quelques décennies…
Gyula Grosics est une légende en Hongrie. Gardien de la légendaire sélection hongroise arrivée en finale de la Coupe du Monde 1954, la « Panthère noire » compte 86 sélections au sein d’une des plus illustres équipes du XXe siècle. Gyula Grosics a eu une grande carrière, qui n’était néanmoins pas complète à son goût. Un vide, un rêve de jeunesse jamais réalisé, laissait un goût amer. Du moins jusqu’en 2008. L’histoire de Grosics est celle d’un rêve réalisé un peu tard. Ou quand la politique prend le pas sur le sport.
Issu d’une pauvre famille de mineurs, Grosics est promis à s’extirper de sa condition en devenant prêtre. Il réussira au-delà de toutes espérances, mais grâce au football. Une réussite toutefois teintée d’amertume car directement liée à la Seconde Guerre mondiale.
En 1943, Grosics, 18 ans, voit en effet ses débuts retardés par le conflit. Le Ministère de la Défense hongrois impose en effet à tous les garçons âgés de 12 à 21 ans de s’enrôler dans l’Organisation Levente. Cette organisation paramilitaire, si elle est souvent comparée aux Jeunesses hitlériennes allemandes ou à l’Opera Nazionale Balilla en vigueur en Italie, n’est pas à proprement parler fasciste, ni même politisée. Mais le Royaume de Hongrie a aligné sa politique sur celle de l’Allemagne nazie depuis 1938 et l’Anschluss. Et Grosics doit, comme beaucoup de ses compatriotes, partir travailler en Autriche. Il n’en reviendra qu’en août 1945.
Démarre alors une fantastique ascension. Grosics honore sa première sélection en équipe nationale dès 1947 et est transféré au Budapest Honvéd trois petites années plus tard. Il remportera avec lui cinq titres de champion. Mais le point d’orgue de cette carrière est sans conteste la Coupe du Monde 1954. Le zenith qui est aussi le début de la fin pour Grosics.
Lorsqu’il en reparle 50 ans après, Gyula Grosics souffre encore de cette finale perdue contre les Allemands. « Oui, je rêve aujourd’hui encore du 3:2 d’Helmut Rahn. Toujours le même cauchemar, déclare-t-il en 2010 dans un interview au Süddeutsche Zeitung. À la mi-temps, j’avais l’impression de me trouver au bord du gouffre. Et d’un coup, j’y suis tombé. Plusieurs centaines de milliers de Hongrois sont descendus dans les rues et ont protesté. La tristesse qui avait suivi la défaite s’était transformée en une manifestation politique contre la dictature communiste. C’est à ce moment que nous avons compris ce que cet événement représentait pour nos concitoyens. Dans les deux pays, ce match a déclenché deux évolutions politiques entièrement opposées. En Allemagne, une évolution positive, le miracle économique et ainsi de suite. En Hongrie, cette évolution a mené à l’insurrection de 1956. »
A leur retour de Suisse, les joueurs hongrois sont reçus dans un camp d’entraînement par le Premier ministre Rakosi. « Il nous a tenu un petit discours, du genre : c’était une défaite, ça peut toujours arriver. Lors de la prochaine Coupe du monde, on fera mieux. Jusque-là , personne ne doit craindre de représailles. Et c’est exactement à ce moment que la plupart des joueurs de l’équipe commencèrent à avoir peur. Car c’était bien là une menace non dissimulée, » raconte Grosics. Sur un plan personnel, cette défaite signifie le début des ennuis pour Grosics. Car c’est sur une faute de main de leur gardien que les Hongrois, invincibles depuis quatre années, encaissent un troisième but et perdent finalement le match. Et pour les autorités, un gardien qui subitement ne sait plus retenir un ballon est un traître.
Grosics devient la proie de la police politique, qui le harcèle sans cesse. Assigné à résidence, accusé officiellement d’espionnage en décembre 1954, il voit son père perdre son travail et l’administration lui demander régulièrement de se manifester. Pas question de fuir à l’étranger. En 1950, un international a été abattu par la police politique, convaincue qu’il voulait passer à l’Ouest. La menace est réelle, et elle va durer quinze mois. Jusqu’à ce que Grosics soit relaxé faute de preuve.
Blessé, humilié, Grosics continue néanmoins de défendre les buts de Honvéd et de la sélection. En novembre 1956, il s’échappe avec sa famille pour rejoindre ses coéquipiers partis en tournée en Amérique du Sud. A leur retour à Vienne, certains restent à l’Ouest. Puskas part rejoindre le Real Madrid tandis que Kocsis et Czibor optent pour le FC Barcelone. Grosics rentre lui au pays. Pas par choix, mais plutôt par obligation. Il a en effet été informé durant son séjour qu’en restant à l’Ouest, ses chances de jouer seraient réduites à néant par le gouvernement hongrois, qui détient des dossiers compromettants.
Car Grosics est toujours dans le collimateur des autorités communistes. Emprisonné, interrogé voire abusé quinze mois durant, Grosics n’a pas caché ses critiques envers Rakosi, proche de Staline, comme il le fera ensuite envers son successeur Kadar, issu lui aussi du courant stalinien et principal instrument de la répression soviétique lors de l’insurrection de 1956. Mais au-delà de ses idées politiques, c’est son passé que les autorités veulent faire jouer contre lui. Car selon elles, Grosics n’aurait pas agi durant la guerre dans le cadre de l’Organisation Levente, mais comme engagé volontaire dans la 25e Division Blindée SS Hunyadi. Ce qui fait de lui un « criminel de guerre » selon les termes du Traité de Paris. Impossible avec un tel passé de vivre libre à l’Ouest.
Grosics rentre donc au pays. Mais la situation y devient également compliquée. La star de Honvéd devient persona non grata dans la capitale, et le pouvoir l’envoie en 1957 finir sa carrière au FC Tatabanya, un modeste club de province. Grosics y évolue jusqu’à la fin de sa carrière, en 1962. Non sans être toujours le gardien titulaire de la sélection nationale ! Il faut dire que son talent est immense, et son jeu avant-gardiste. Grosics n’hésite pas à user de ballons longs pour lancer des contre-attaques, ce qu’il fait parfois au sein même de la ligne de défense.
Avec un tel niveau, Grosics aurait certainement pu réaliser son rêve : rejoindre Ferencvaros en 1962. Las, le gouvernement s’oppose à ce transfert. Grosics décide alors de prendre sa retraite.
Il faut attendre 2008 pour qu’un étonnant rebondissement permette enfin au gardien vétéran de porter la tunique de ses rêves. Cette année-là , les dirigeants du club décident d’enregistrer officiellement Gyula Grosics au sein de leur effectif professionnel auprès de la fédération nationale. En joignant le geste à la parole : Grosics est titulaire lors d’un match amical face à Sheffield United ! A 82 ans, il donne le coup d’envoi du match et en dispute le premier quart d’heure avant d’être remplacé. Dans la foulée, le club retire le numéro 1 en son honneur. Aujourd’hui encore, Grosics fait partie du groupe de joueurs professionnels que Ferencvaros transmet chaque saison à la fédération nationale.
Un honneur tardif qui peut paraître surprenant au vu du passé de ce joueur durant la Seconde Guerre mondiale. Cet épisode, répertorié dans les Archives Militaires hongroises, n’est révélé qu’en 2006 par l’historien Peter Kende, qui y a eu accès. Sans faire grand bruit. En Hongrie, Gyula Grosics reste surtout célèbre pour sa présence au sein de la grande équipe de Hongrie, mais aussi pour ses attaques contre le communisme, les gouvernements Rakosi et Kadar, et pour son combat en faveur de la démocratie dans les années 80.
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Super billet, PJ.
(mouais, comme d’hab’, ça déplace pas les foules!) Merci Stef!
Te biles pas PJ, bien que ces billets là ne soient pas sujets à beaucoup de commentaires, ce sont eux qui font la différence sur PF.
D’ailleurs peu de sites en proposent du même genre sur la toile, c’est ce qui rend le blog unique.
Te décourages pas !
merci PJ , tres beau reportage !! a la découverte de vieille figure légendaire
Je reviens rapidement sur le sujet, le décès de Grosics ayant été annoncé ce matin. 88 ans et une vie bien remplie!