Pour fêter ce 8 mai, retour sur les années sombres de la Seconde Guerre mondiale avec Evald Mikson. Gardien de but estonien dans les années 30, Mikson aurait eu des agissements plus que troubles durant le conflit. L’utilisation du conditionnel reste de mise, puisque malgré des accusations plus qu’appuyées, son décès n’a permis aucune enquête ni condamnation. Les débats quant à son histoire sont ainsi aujourd’hui encore plus passionnés que jamais.
Evald Mikson voit le jour en 1911 à Tartu, la deuxième plus grande ville d’Estonie. Sous domination de l’Empire russe depuis près de deux siècles, l’Estonie est à l’époque une région troublée, balançant entre le pouvoir central russe et les pouvoirs locaux germanophones. Il faut attendre 1920 et l’effondrement de l’Empire russe pour que ce pays balte obtienne, avec ses voisins, son indépendance.
La fédération estonienne est créée une année plus tard, et le pays se dote d’un championnat national. C’est dans ce pays tout jeune et encore dominé par la noblesse germanophone que grandit le jeune Evald Mikson. Gardien de but dans une équipe de Tartu, Mikson honore sept sélections en équipe nationale estonienne entre 1934 et 1938. Avec forcément des résultats mitigés : 4 défaites, deux nuls et une seule victoire, face à la Lituanie, à une époque où la majeure partie des matchs oppose l’Estonie à ses deux voisins balte dans une compétition triangulaire annuelle. Une équipe estonienne plus ou moins marquée elle aussi par l’aspect germanique, puisque sur les sept sélectionneurs en poste durant ces deux décennies, quatre sont issus de l’ex-empire austro-hongrois (trois Hongrois et un Autrichien).
La Seconde Guerre mondiale marque un coup d’arrêt pour le football estonien. Le Pacte Molotov-Ribbentrop permet à l’URSS d’occuper le pays dès 1939. L’EJF, la fédération nationale, est dissoute, tout comme l’équipe nationale. Rompant les accords de ce pacte un an plus tard, l’Allemagne nazie envahit une partie de l’URSS, dont l’Estonie. C’est le point de départ de la trouble vie de Mikson.
Lorsque l’armée allemande entre en Estonie, Mikson, farouchement anti-communiste, fait déjà partie d’un réseau de résistance contre l’Armée Rouge. C’est donc tout naturellement qu’il entre dans la Sicherheitspolizei, la Police de Sûreté allemande (connue sous le nom de Sipo) dont il devient député-chef pour le district de Tallin-Harju. C’est durant cette période qu’il s’en prendrait aux Juifs d’Estonie, signant personnellement des condamnations à mort. Bien que roulant pour les Allemands, Mikson est emprisonné en 1942, officiellement pour défaut de rapports envers ses supérieurs, mais d’autres accusations parlent de détournement à son compte de biens spoliés aux victimes juives.
Quoi qu’il en soit, le vent a tourné quand il est libéré en 1944. Les Allemands battent en retraite devant les contre-offensives de l’Armée Rouge, qui parvient à reprendre le pays. Comme une partie de la population, Mikson fuit pour éviter d’hypothétiques représailles. Sa première destination est la Suède, pays resté officiellement neutre durant le conflit, et où ont notamment trouvé refuge de nombreux Juifs des pays voisins. Après audition de la Cour de Stockholm, Mikson est cependant considéré comme criminel de guerre et indésirable en Suède. Interné quelques mois, il est amené à Halden, à la frontière norvégienne, en 1946, où un bateau en partance pour le Vénézuela est amarré. Mikson espère ainsi rejoindre l’Amérique du Sud, où ont déjà trouvé refuge de nombreux anciens dignitaires des régimes de l’Axe vaincu. Il n’y posera jamais le pied, débarquant du bateau dès sa première escale : l’Islande.
S’installant sur l’île, Evald Mikson change de nom et devient Eðvald (Edvald) Hinriksson. C’est sous ce nom qu’il dépose en 1947 une demande de visa pour les Etats-Unis. Une demande rejetée après que le FBI, découvrant la véritable identité de ce résident de Reykjavik, dévoile son passé de criminel de guerre. Une décision qui fixe définitivement notre homme en Islande, qui, au contraire de la Suède et des Etats-Unis, refuse de reconnaître son passé de criminel de guerre.
Hinriksson peut alors vivre paisiblement, et fonder une famille qui ne manquera pas de s’illustrer dans le petit monde du football islandais. Ses deux fils font ainsi une belle carrière professionnelle. Johannes Edvaldsson compte ainsi 32 sélections en équipe nationale islandaise et cinq saisons sous le maillot du Celtic Glasgow entre 1975 et 1980 tandis qu’Atli Edvaldsson passe par le Borussia Dortmund et le Fortuna Düsseldorf, entre autres, et porte 70 fois le maillot de l’équipe nationale avant d’en devenir lui-même le sélectionneur de 1999 à 2003. Ils font ainsi partie des meilleurs joueurs de l’histoire du football islandais. Mais la réussite de la famille ne s’arrête pas là puisque la fille d’Atli, Sif Attladottir, évolue elle aussi en équipe nationale islandaise depuis 2007.
Le passé d’Hinriksson refait surface avec les accusations du Centre Simon Wiesenthal. Créé en 1977 dans le but de retrouver d’anciens responsables de l’Holocauste, cette ONG l’accuse d’avoir joué un rôle actif dans les crimes contre les Juifs d’Estonie durant la Seconde Guerre mondiale et multiplie les demandes d’ouverture de procès à l’Islande, essuyant à chaque fois un refus catégorique.
Car l’Islande, et notamment ses médias, ne croit pas un mot de ces accusations. Et le tour prend peu à peu des dimensions diplomatiques. Une des requêtes émanant de la branche israélienne du Centre provoque ainsi de lourdes réprimandes du gouvernement islandais envers l’Etat d’Israël, qui n’était en rien à l’origine de la requête. Les relations entre les deux pays se tendent, les dirigeants islandais allant jusqu’à accuser Israël de victimisation en souhaitant « passer pour une victime afin de s’attirer la sympathie de la communauté internationale, et non comme un agresseur qui attaque violemment les autres nations du Moyen-Orient, » comme l’a notamment affirmé la maire de Reykjavik, faisant allusion au conflit israélo-palestinien. Un conflit au sujet duquel l’Islande s’oppose d’ailleurs régulièrement à Israël. Elle n’hésite pas non plus à s’opposer aux Etats-Unis, comme lorsqu’elle accorde en 2005 la citoyenneté à un Bobby Fischer accusé de propos antisémites, mais c’est une autre histoire.
Les deux fils d’Hinriksson prennent eux aussi publiquement la défense de leur père. Mais pour d’autres raisons. Suivant l’idéologie anti-communiste de leur père, ces derniers accusent le Centre de faire le jeu de la toute jeune Russie en essayant de donner une mauvaise image de l’Estonie. Le Centre serait selon eux partie prenante dans la tentative de la Russie de renforcer sa position dans un pays qui ne gagnera son indépendance qu’en 1991.
Mis sous pression par le Centre Simon Wiesenthal, dont les accusations sont appuyées par les archives estoniennes, le gouvernement islandais et le procureur d’état acceptent en 1993 de prendre en compte les preuves reçues et de faire ouvrir une enquête. Une décision trop tardive, Hinriksson succombant à une crise cardiaque le 27 décembre de cette même année, à l’âge de 82 ans. Le procès n’aura jamais lieu.
Le Centre Simon Wiesenthal n’en reste cependant pas là et continue ses recherches. Et reçoit en 2001 le soutien de la Commission Historique Estonienne pour les Enquêtes de Crimes Contre l’Humanité, dont les travaux appuient les accusations, comme l’indique ce communiqué de presse :
« Le Centre Simon Wiesenthal a reçu avec satisfaction les résultats récemment publié par la Commission Historique Estonienne pour l’Investigation sur les Crimes Contre l’Humanité qui ont confirmé les allégations du Centre selon lesquelles Evald Mikson a joué un rôle actif dans le meurtre de Juifs d’Estonie durant son service en tant que Député Chef de la Police politique estonienne dans le district de Tallinn-Harju pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans un rapport rendu à Jérusalem par le Dr Efraim Zuroff (directeur du Centre en Israël), qui a enquêté sur le cas Mikson et mené la campagne pour l’ouverture de poursuites judiciaires, le Centre a annoncé regretter que Mikson soit décédé avant la tenue de son procès mais a exprimé sa profonde satisfaction après que les conclusions de la commission, créée par le Président estonien Lennrt Meri et composé de personnages de réputation internationale, aient confirmé les soupçons formulés contre Mikson par le Centre aux autorités islandaises. Selon M. Zuroff : ‘La justice arrive parfois trop tard pour le jugement de criminels, mais au moins l’ombre du doute concernant les crimes d’Evald Mikson en tant de guerre sont dissipés et son rôle important dans le meurtre de masse de Juifs d’Estonie est officiellement confirmé.’
Nous sommes particulièrement heureux que la Commission estonienne ait mis en lumière les activités criminelles de Mikson car les dirigeants estoniens, incluant jusqu’au Ministère estonien des Affaires etrangères, ont longtemps défendu Mikson et nié sa participation à des crimes contre l’Humanité.
Nous espérons que cette recherche, pionnière en la matière, menée par la commission clarifiera le rôle joué par les Estoniens dans les crimes perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale, et facilitera les poursuites des Estoniens acteurs de l’Holocauste pouvant encore passer devant la justice. »
Malgré ces conclusions, le doute demeure. D’une part par les travers parfois imputés à la volonté du Centre de trouver coûte que coûte d’anciens criminels de guerre. Et d’autre part, parce que sans réel jugement, il s’avère impossible de mettre d’accord les partisans des deux camps. Des partisans qui continuent aujourd’hui encore d’opposer leurs idées sur internet. La vie d’Evald Mikson, un débat voué à être sans fin.
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Période vraiment trouble de l’histoire. Mais c’est vrai que pendant ces années, les citoyens devaient choisir entre l’occupant sovietique et l’envahisseur nazi. Quelques rares héros se sont illustrés en résistant contre les 2 camps mais souvent au détriment de leur propore vie.
Maintenant, c’est clair qu’il y a un énorme différence entre soutenir passivement l’un ou l’autre camp (pour gagner sa crôute ou garder la vie) et participer activement à la mort d’innocents. D’un autre côté, j’aimerais savoir si les archives ont pu établir clairement si les arrêts de mort signés par ce type étaient lié au fait qu’ils étaient juifs ou non. Car j’imagine que l’un des rôles du chef de police blabla était de signer la condamnation à mort de tous les criminels. Maintenant, même si certains étaint juifs cela ne prouve pas forcément qu’ils ont été condamnés pour cette raison.
Très compliquée cette histoire, bel article PJ.
Dommage qu’il n’y ai pas eu de procès, parce que malgré l’enquête les avis restent très partagés, comme on peut le lire sur le forum axishistory.
Entre ceux qui s’appuient sur les enquêtes du centre Wiesenthal et ceux qui semblent animés d’un (léger ? sic !) sentiment antisémite… Chacun interprète à sa façon.
La justice aurait probablement permis d’y voir plus clair.
L’une des victimes de Mikson et ses camarades était une jeune fille juive. Elle n’a pas une chance, quand ils l’ont violée à la prison centrale de Tallinn et signé les papiers pour son exécution.
Les éléments de preuve pour les crimes de Evald Mikson est suffisante. Il était un membre d’une unité de forces estoniennes et auxiliaires de police qui ont tué les Juifs estoniens avant que les Allemands ont envahi le pays.
Malheureusement, avec la situation dans les États baltes d’aujourd’hui, Mikson pourrait être le prochain héros national, qui sont les ultra-nationalistes honorera avec leurs marches annuelles.
PJ ne peut pas changer les faits. Aussi footballeurs peuvent commettre des crimes de guerre!
Le nom de la jeune fille était Ruth RUBIN
Mais je vous rassure, je ne cherche absolument pas à changer les faits! Le but ici est de les raconter du mieux possible avec les éléments que j’ai pu trouver, sans autre ambition. J’essaie de relater les faits en restant le plus neutre possible, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de décision de justice au final. Je ne cherche donc ni à accuser ni à décharger le personnage. A moins qu’une erreur ou une maladresse ne le laisse penser?
Un élément revenant chez différentes sources laisse à penser que la SiPo traquait bien les Juifs: plus de 99% des Juifs d’Estonie ont péri durant le conflit, dont un bon nombre avant même que les Allemands ne contrôlent le pays.
Pour revenir à Mikson lui-même, il aurait signé d’après certains documents une trentaine de sentences de mort (toujours au conditionnel). D’après d’autres documents, il en aurait tué lui-même, comme cette Ruth Rubin, âgée de 14 ans au moment des faits. Malheureusement, je ne parle pas islandais et je n’ai qu’une confiance restreinte envers les traducteurs automatiques, ce qui ne facilite pas la tâche. VV pourrait certainement nous en dire davantage, puisqu’il est le plus grand spécialiste de la question juive en Islande, et l’une de mes sources pour la rédaction de ce billet.
PJ n’a pas cherché à changer les faits, il a juste avancer sur le sujet comme s’il marchait sur des oeufs et il a bien fait.
D’ailleurs pour ce qui est de l’histoire, il en a déjà relaté une, avérée par décision de justice celle-là et qui concerne la France, celle d’Alexandre Villaplane, premier capitaine des bleus, dans cet article:
http://www.parlonsfoot.com/archives/2010/08/30/alexandre-villaplane-un-traitre-un-vrai/
Tu ne peux pas le taxer de parti pris, ce n’est pas le genre.