Et voici le dernier billet de la petite trilogie du 8 mai…
Une finale de Coupe du monde, que rêver de plus ? Pour tous les joueurs qui ont eu la chance et l’honneur de disputer un tel match, celui-ci doit revêtir une importance toute particulière. C’est LE match d’une vie. Celui qu’il ne faut pas rater. C’était déjà certainement le cas en 1954, lors de cette finale Allemagne-Hongrie. Ce fameux « Miracle de Berne » qui a vu les Allemands s’imposer face à Puskas et sa bande. Oui, c’était certainement le match le plus important pour 21 des joueurs présents sur le terrain. Mais pas pour Fritz Walter. Le match de sa vie, le capitaine allemand l’avait déjà joué bien des années plus tôt. Sans maillot, sans équipe ni sélection.
Joueur dès ses sept ans, le jeune Fritz avance sur le terrain au fil des ans. D’arrière droit dans ses plus jeunes années, il devient milieu de terrain puis attaquant axial. C’est à ce poste qu’il honore sa première sélection en équipe d’Allemagne en 1940, et de la meilleure des manières puisqu’il inscrit un triplé lors d’une nette victoire 9-3 des Allemands face à la Roumanie. Le joueur du FC Kaiserslautern n’a que 19 ans, mais déjà un brillant avenir devant lui.
La Seconde Guerre mondiale éclate cependant. Comme des centaines, voire des milliers d’autres footballeurs, Fritz Walter quitte les terrains pour les champs de bataille. Mobilisé comme fantassin, il combat en France de longs mois avant d’être fait prisonnier. Enfermé dans un camp tenu par les Américains après son arrestation, il est transféré quelques semaines plus tard aux mains des Soviétiques en compagnie de milliers d’autres soldats allemands. Leur destination : un goulag sibérien.
Ce goulag, Fritz, 24 ans (la guerre touche alors à sa fin) ne le verra jamais. Le convoi dans lequel il a pris place fait une halte dans un centre d’accueil. Ce camp est situé en Transylvanie, une région que la Diktat de Vienne a « offert » à la Hongrie. Plus précisément, il est à Máramarossziget, une ville aujourd’hui redevenue roumaine sous le nom de Sighetu Marmaţiei, où est né notamment Elie Wiesel et dont la forte population juive a été entièrement décimée durant le conflit.
Alors que les soldats prisonniers attendent de repartir, Walter remarque que les gardiens se préparent à jouer un match. En spectateur attentif, il les regarde de loin, lorsqu’un ballon dégagé avec force vient vers lui. Walter ne le sait pas encore, mais ce ballon va lui offrir la liberté. Malgré le poids de ses bottes de militaire, il le renvoie sur le terrain d’une puissante reprise de volée. Les gardiens, interpelés par le geste, l’invitent à intégrer l’une des deux équipes.
Ce petit match improvisé oppose des gardiens slovaques et hongrois. Alors qu’il évolue parmi ces derniers, l’un d’eux s’approche de lui et lui glisse : « Je te connais. Hongrie-Allemagne à Budapest en 1942, vous avez gagné 5-3. » Le lendemain, son nom a disparu de la liste des prisonniers. Le garde qui l’a reconnu le fait passer pour un Autrichien enrôlé de force dans la Werhmacht, ce qui lui permet de bénéficier de la clémence des autorités Soviétiques. Libéré grâce à ce geste, Fritz Walter peut regagner l’Allemagne à l’automne 1945.
De retour à Kaiserslautern, il reprend le chemin des terrains avec succès. Plusieurs fois champion d’Allemagne avec le FCK, son club de toujours, il retrouve la sélection en 1951. A 30 ans, il retrouve l’homme qui aura certainement compté le plus dans sa carrière : Sepp Herberger. Entraîneur et sélectionneur de Walter avant la guerre, Herberger veut en faire sa pièce maîtresse, celui autour duquel s’articulera son équipe nationale. Avec le succès que l’on sait, puisque c’est ainsi que l’Allemagne remportera la Coupe du monde 1954.
Lorsqu’il était prisonnier de guerre, Fritz Walter a contracté la malaria, une maladie à laquelle il n’aurait certainement pas survécu dans un goulag, et qui le handicape encore fortement les jours de grande chaleur. Ce qui pourait être un simple détail ne l’est pas le jour de la finale. Une pluie battante s’abat en effet sur Berne en ce jour miraculeux. C’est le temps idéal. Le capitaine Walter soulève le Trophée Jules-Rimet et forme avec son frère Ottmar la première fratrie championne du monde. Mais de son propre aveu, Fritz Walter avait joué le match de sa vie une décennie plus tôt, quelque part près de la frontière roumano-hongroise.
Sources: Carles Vinyas et deux articles de FIFA.com que je vous recommande particulièrement: sur Walter et sur le Miracle de Berne.
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J’ignorais cette magnifique histoire (comme la plupart de celles que tu nous contes).
Tu devrais écrire des bouquins
A propos de bouquin… Le projet d’édition est toujours en cours ou est-ce qu’il est tombé à l’eau ?
Pour ce qui est de cette histoire, elle est formidable et je suis enchanté de la découvrir. Comme quoi, souvent dans la vie, la réussite ne tient à pas grand chose. En ces temps d’individualisme et d’ostracisme, certains ferait bien d’y penser.
Mais ce qu’il y a de vraiment incroyable dans cette histoire, c’est d’apprendre que c’est un hongrois qui lui a tendu la main. On pourrait dire que par ce geste, sans le savoir, cet homme a privé son équipe national d’un titre de championne du monde. Et quelle génération que celle de Puskas…
C’est toujours en cours. Sortie prévue vers fin août-début septembre.
C’est vrai que l’ironie du sort est incroyable sur ce coup!