Filant telle un scud à l’aube des années 90, une petite phrase de Christian Jeanpierre m’a interpellé lors de la sortie du terrain d’Andrés Iniesta samedi soir. Notre commentateur préféré affirmait – je ne me souviens plus de sa phrase exacte – que le meneur espagnol n’avait jamais reçu un carton jaune de sa carrière. Bon, la recherche a été courte. Iniesta a déjà été averti, comme en témoignent des images et articles trouvables sur le net. Jeanpierre ne raconte que des conneries, une fois de plus…
Cette phrase m’a néanmoins rappelé un article lu il y a quelques temps de cela sur les gentlemen du football. Trois Anglais qui ont réussi le tour de force de ne jamais recevoir le moindre carton dans leur carrière. Pas un seul, en 1619 matchs (cumulés) de championnat. La très grande classe. Il n’y avait que des Britanniques pour y parvenir ! Si l’un, Dixie Dean, est peu connu de nos jours, les deux autres, Stanley Matthews et Gary Lineker, sont restés incontournables. Trois hommes, trois époques, mais un même état d’esprit.
William Ralph Dean, surnommé Dixie, est la première de ces trois figures. Celle de l’Entre-deux-guerres. Né en 1907 à Birkenhead, dans la banlieue de Liverpool, il débute sa carrière à 16 ans dans le club de sa ville natale, les Tranmere Rovers. Avec réussite la plupart du temps, mais aussi de grosses inquiétudes après un choc contre un adversaire lors d’un match joué avec l’équipe réserve. L’attaquant aux faux-airs de Tevez y laissera un testicule, mais pas sa carrière. Deux saisons, et 27 buts en 33 matchs plus tard, il est acheté par Everton pour 3000 livres, un montant record pour son club formateur.
Un an après ce transfert, Dean tutoie la mort lors d’un accident de moto. Victime d’un important traumatisme crânien et de fractures à la machoire, il est donné perdu pour le football par les médecins. Quinze semaines plus tard, il est de retour sur les terrains, avec un succès inimaginable et deux buts de la tête dès son premier match! Avec un triplé contre Arsenal lors de la dernière journée, Dean termine la saison 1927-28 avec 60 buts à son compteur. Le record tient toujours et ne risque pas d’être battu de sitôt. Dean évolue 12 saisons à Everton, marquant 349 buts en 399 matchs. Au total, il compte 473 matchs pour 407 buts durant ses 17 ans de carrière. Brillant en club, il est également performant en équipe nationale, avec 18 buts en 16 sélections seulement (et notamment cinq doublés et deux triplés!).
Clin d’œil du destin, le héros d’Everton s’éteint le 1er mars 1980 alors qu’il assiste au derby Everton-Liverpool dans les tribunes de Goodison Park. Une statue à son effigie veille sur l’entrée du stade de ses exploits depuis 2001.
Deuxième de nos gentlemen, Sir Stanley Matthews est la figure de l’après-guerre. Plus vieux joueur professionnel de l’Histoire du championnat anglais, Matthews a joué de 1932 jusqu’en 1966, à l’âge de 51 ans. Lorsqu’il quitte les terrains, le Sorcier du dribble (Wizard of the dribble) est déjà élevé au rang de Chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique, titre qu’il est encore le seul footballeur à avoir reçu.
Matthews débute sa carrière à Stoke City, le club de sa ville. Six saisons plus tard, en conflit avec la direction de son club et quelques-uns de ses coéquipiers, Matthews demande à être transféré. La requête est fermement refusée. De plus, la nouvelle s’ébruite et 3 000 supporters descendent manifester dans les rues entourant le stade pour manifester leur opposition à ce départ. Touché par cette marque de reconnaissance, Matthews reste à Stoke, pour ce qui sera sa dernière saison avant la Deuxième Guerre mondiale.
Il attendra finalement 1947 pour quitter son club et rejoindre Blackpool. A 32 ans, Matthews est un joueur que l’on pourrait alors croire en fin de carrière, à tel point que son propre manager lui demande s’il pourra jouer deux saisons complètes. Il en jouera quatorze pour les Seasiders, remportant au passage la Cup en 1956, qui reste aujourd’hui encore l’unique trophée présent au palmarès du club. Il reçoit cette même année 1956 le Ballon d’Or, à l’âge de 41 ans. C’est également cette année-là qu’il devient le buteur le plus âgé en équipe d’Angleterre. Des records qui tiennent toujours aujourd’hui.
Revenu à Stoke-on-Trent à 46 ans, il y joue encore quatre saisons, avant de prendre une retraite bien mérité à 50 ans passés, non sans avoir été désigné une dernière fois joueur de l’année en 1963. Au final, Sir Stanley Matthews joue plus de 700 matchs de championnat sans prendre le moindre avertissement, pas même verbal avant que ne soient créés les fameux cartons. Et lui possède non pas une, mais deux statues à son effigie : dans sa ville natale de Hanley et à l’entrée du Britannia Stadium de Stoke.
S’il ne possède pas (encore ?) de statue à son effigie, Gary Lineker n’en reste pas moins un vrai gentleman. De ses 466 matchs de championnat sans avertissement, Lineker a gagné un surnom, « Mister nice guy » et un FIFA Fair Play Award, reçu en 1990. Mais ses statistiques plaident également pour lui : trois fois meilleur buteur du championnat anglais, meilleur buteur de la Coupe du Monde 1986, et auteur d’un triplé lors de son premier Clasico disputé avec le maillot barcelonais. Entre autres.
Une fois sa carrière terminée, Gary Lineker est resté un vrai gentleman. Natif de Leicester et formé à Leicester City, il se lance en 2002 dans une grande bataille pour sauver le club, placé sous administration. Il persuade les clubs de supporters de rassembler un maximum d’argent pour sauver le club de la liquidation, et fait un don personnel de 5 millions de livres ! Un engagement qui sera suivi notamment par Emile Heskey, lui aussi formé au club. Devenu vice-président honoraire du club, aux côtés des illustres Gordon Banks et Peter Shilton, excusez du peu, Gary Lineker a également été fait « Freedom of the City » de Leicester, l’équivalent de recevoir les Clés de la ville en France. Un honneur qui l’autorise notamment à mener librement ses moutons sur la place centrale de la ville, s’il en possédait. Le genre d’idée qui donne envie d’en acheter une bonne centaine.
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9 commentaires
Très bon sujet, PJ.
Stanley Mattews, quelle longévité.
Bien bel article. Et pas un mot sur Jeremy menez ? … =>
Je pense que PJ le garde de côté pour le jour où il fera un billet sur les cartons les plus cons de l’histoire du foot.
Par contre PJ, il me semble, mais je n’en suis pas sûr, que tu aurais pû citer Maxime Bossis.
Je crois qu’ il n’a jamais reçu le moindre carton au cours de sa carrière. A vérifier.
J’ai regardé sur plusieurs sites, c’est bien ça. zéro cartons, le grand Max est bien le gentleman français.
Effectivement, j’ai complètement oublié Bossis! Merci de me le rappeler Stef.
Il y a certainement d’autres exemples. Bobby Charlton n’a jamais été expulsé par exemple, mais je n’ai pas trouvé de confirmation sur les jaunes. Même chose pour Gaetano Scirea, jamais expulsé, belle performance pour un libéro. Je suis tombé aussi sur une brève concernant Valeron, défenseur de La Corogne, qui a pris cette saison son premier jaune depuis plus de sept ans! Et comble de malchance, l’arbitre le lui a donné par erreur, puisque la faute sanctionnée avait été commise par un de ses coéquipiers (à Valeron, pas à l’arbitre).
Si quelqu’un a d’autres exemples…
Tellement gentleman Bossis qu’il a préférer louper son tir au but contre Schumacher en 82.
J’ai honte mais c’est la seule image qui me vient à l’esprit quand je pense à ce joueur exemplaire….
Ah ce match… Il y a quelques années j’ai rencontré Gérard Janvion, j’ai pas osé lui en parler. C’est con, mais c’est un souvenir douloureux pour moi, alors pour lui…
Yes, le grand Max ! Performance d’autant plus remarquable qu’il jouait arrière central !!