Aujourd’hui 11 novembre débute sur PF une série de cinq histoires mêlant Première Guerre mondiale et football.
Le football n’est qu’un jeu. Et par deux fois, le monde du football professionnel a dû s’incliner devant les grands événements. S’incliner, mais en apportant sa part de contribution aux deux plus grands conflits militaires de l’histoire de l’humanité, les deux Guerres mondiales. Des footballeurs, célèbres ou en devenir, ont alors prouvé leur valeur, leur talent et leur courage lors de rencontres où l’expression lutter à la vie à la mort prend son véritable sens. Ou quand la plus belle des équipes n’appartient à aucun club.
La Première Guerre mondiale a pris par surprise les compétitions sportives. Les différents championnats suivent alors des chemins différents. Le championnat allemand s’arrête dès la fin de la saison 1913-1914. Les championnats de France, de Bellgique ou d’Espagne, encore amateurs, sont eux aussi suspendus dès le début du conflit tandis que les Pays-Bas, dont le championnat est lui aussi amateur, ne s’arrêteront pas de jouer. Le Calcio est lui suspendu en mai 1915 après l’entrée en guerre de l’Italie un mois plus tôt et un décret de mobilisation du gouvernement. Les Britanniques sont eux prisonniers du professionnalisme. Parce que les joueurs ont des contrats d’un an et ne peuvent être enrôlés dans l’armée sans l’aval de leurs clubs, la saison 1914-1915 est disputée à plein régime.
Un député tient pourtant à faire monter les footballeurs au front. William Joynson-Hicks, député parmi les plus rigides des conservateurs, a dû s’y reprendre à trois fois pour décrocher un siège au Parlement. Il y propose la création d’un bataillon dédié aux footballeurs. Ces derniers, professionnels depuis de longues années déjà, ont une immense côte de popularité. L’idée lancée par Joynson-Hicks est de profiter de cette notoriété pour inciter les nombreux supporters et simples amateurs de football à venir combattre auprès de leurs idoles. Le projet est accepté à l’unisson.
Le 17e Bataillon de Service du Régiment du Middlesex, mieux connu sous le nom de Bataillon des Footballeurs, voit ainsi le jour le 12 décembre 1914. Si plusieurs joueurs amateurs s’y engagent, les joueurs professionnels tardent à l’intégrer. Franck Buckley, milieu international évoluant à Derby County, fait partie des tous premiers à répondre à l’appel de Joynson-Hicks. Les premiers temps sont donc durs pour le bataillon, mais ces premières arrivées provoquent un effet boule de neige et les demandes affluent rapidement. L’engagement de l’avant-centre de Chelsea Vivian Woodward (capitaine de l’équipe de Grande-Bretagne vainqueur des JO de 1908 et 1912) est par exemple suivi par celui de plusieurs dizaines de supporters du club. Celui de l’international Evelyn Lintott provoque le même effet chez les fans de QPR. Profiter de l’aura des joueurs pour amener des civils à combattre, l’idée lancée par Joynson-Hicks est une réussite.
En mars 1915, le Bataillon des Footballeurs compte plus de 600 soldats, dont 120 footballeurs environ. Parmi eux, l’entier effectif de Clapton Orient (aujourd’hui Leyton Orient). Dans les mois qui suivent, Walter Tull, ancienne gloire de Tottenham et Northampton, devient sergent en son sein. La FA, sous pression, s’est résignée à soutenir les appels à la mobilisation. C’est ainsi que des membres du comité de recrutement du Parlement anglais peuvent faire entendre leur discours à la mi-temps d’un match de West Ham à Upton Park, et voir Webster, le gardien des Hammers, signer dans la journée. Quelques mois plus tard, c’est toute l’équipe première des Hearts of Midlothian qui s’engage, alors même qu’elle est en tête du championnat écossais. Moins de la moitié de ses joueurs survivra au conflit.
Après plusieurs mois d’entraînement, le Bataillon des Footballeurs arrive au front en France en janvier 1916. Il y connaît ses premières pertes : quatre décès et plusieurs blessés dont Woodward, touché à la jambe par une grenade et contraint à plusieurs mois de repos. Mais le pire est encore à venir. Le régiment entre dans la Bataille de la Somme au mois d’août. Franck Buckley y perd un poumon, perforé par un éclat d’obus, et est envoyé en convalescence en Angleterre. Tout comme le sergent Tull, victime de la fièvre des tranchées. Buckley reviendra sur le front un an plus tard, tandis que Tull doit quitter son bataillon. Envoyé à l’Ecole supérieure de Gailes, il revient en première ligne en 1917 en tant que lieutenant.
En avril 1917, le bataillon est détruit en quasi-intégralité à Oppy durant l’offensive d’Arras. Quelques mois plus tard, il résiste héroïquement aux contre-attaques allemandes sur Cambrai. Au prix de nouvelles importantes pertes humaines. L’intensité des combats fait 500 morts parmi les 600 soldats du bataillon selon les comptes même de Franck Buckley. Plus largement, le football anglais a perdu bon nombre de ses acteurs sur les champs de bataille. Clapton Orient y perd trois joueurs, West Ham cinq, Newcastle sept, Tottenham onze ! Sans compter ceux qui ne pourront jamais rejouer, blessés, amputés ou asphyxiés au gaz moutarde.
Le football a lui une bonne place dans la vie des soldats. On dénombre pas moins de 6 000 ballons dans les tranchées alliées dès 1915. Un bel exemple, outre le Bataillon des Footballeurs, est le 8e bataillon du « East Surrey Regiment. » Lorsqu’est déclenchée, le 1er juillet 1916, la grande offensive de la Somme, les soldats du capitaine Nevill partent ballon au pied à l’assaut des tranchées allemandes ! Nombreux sont ceux qui sont tombés avant d’arriver au but, mais au bout de cette incroyable attaque, les hommes de Nevill portent en triomphe un ballon pour fêter leur victoire. Ballon aujourd’hui exposé dans la salle d’honneur des casernes de Kingston, près de Londres.
Si l’apport des footballeurs à l’effort de guerre a toujours été reconnu en Angleterre, ils n’ont un monument à leur gloire que depuis peu, une stèle surmontée d’un ballon. Le Mémorial du Bataillon des Footballeurs de Longueval a été inauguré en octobre 2010 en présence des familles de ceux qui ont donné leur vie sur le front de l’Ouest durant la Première Guerre mondiale, et incité nombre de leurs concitoyens à prendre les armes pour défendre leur pays. Une reconnaissance dont ne bénéficient pas les joueurs français. Peu développé avant-guerre, le football ne fait pas encore vibrer les foules, et les internationaux français ne sont, à l’inverse des Britanniques, pas encore professionnels. D’où un certain manque d’informations sur les joueurs tricolores tombés au champ d’honneur.
Pour en savoir plus: Istoria Fotbalului, Wikipedia et Spartacus Educational
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Très bel article, PJ. Comme d’hab !
J’ignorais l’existence de ce bataillon. P*tain de guerre. Paix à ces hommes.
Merci pour l’histoire PJ.
Y a aussi les histoires de trèves de noel entre Allemands, Anglais et Français ponctuées entre autres de partie de foot…
Mais peut être que ça va faire l’objet d’un article hein?
C’était pas vraiment prévu non. Beaucoup de choses ont déjà été écrites à ce sujet, je ne vois pas ce que je pourrai apporter de plus!