Suite de la série consacrée à la Première Guerre mondiale.
Certains gardiens sont restés célèbres pour avoir révolutionné leur poste, comme Amadeo Carrizo, par leur talent, comme Lev Yachine ou Peter Shilton, ou par leurs excentricités, comme René Higuita ou Jorge Campos. Quelques décennies avant eux, un charismatique gardien gallois avait marqué son époque. Pas assez cependant pour passer à la postérité.
Leigh Roose naît en 1877, et débute le football peu avant ses 18 ans. Six années plus tard, il évolue en première division à Stoke City. Mais il a impressionné avant même d’arriver dans l’élite anglaise. Roose honore en effet sa première sélection en équipe du Pays de Galles dès l’année 1900 après que l’habituel titulaire ait complètement raté son match face à l’Ecosse, alors qu’il ne joue encore que dans le petit club d’Aberystwyth Town. Le 24 février, lors d’un match face à l’Irlande, il n’hésite pas à sortir hors de sa surface de réparation pour aller percuter volontairement l’ailier adverse et stopper la contre-attaque irlandaise. Une intervention qu’aucun gardien n’avait encore osée. D’autant plus que son intervention laisse l’attaquant adverse sans connaissance ! Roose en fait du laxisme des règles de son époque : le coup-franc n’a pas encore vu le jour. « Si un attaquant doit être arrêté, il ne faut pas hésiter à utiliser toute sa force, » explique-t-il après le match, que les Gallois remportent 2-0.
Un an plus tard, Roose fait parler de lui pour une toute autre initiative originale. Selon la Loi 8 de l’époque : « Un gardien de but peut, dans sa propre partie du champ de jeu, utiliser ses mains, mais sans porter le ballon. » Avec son équipe de Stoke, Roose laisse le public bouche bée en contournant la règle. Partant de son but balle en main, il traverse sa moitié de terrain en faisant rebondir le ballon tel un basketteur avant de lancer une attaque d’un long coup de pied. Un geste parfaitement légal selon le règlement, mais auquel personne n’avait pensé, par peur notamment d’une interception ou d’une contre-attaque. Roose, lui, ne craint rien. Et continue à appliquer cette technique jusqu’à la fin de sa carrière.
La liberté que Roose s’accorde sur le terrain finit par attirer l’attention des journaux, étonnés de voir ce gardien passer la majeure partie de son temps hors de sa surface de réparation. Mais lui n’en a cure, et affirme à qui veut l’entendre qu’un gardien ne doit pas hésiter à quitter son but et à s’affirmer physiquement. Dans un sport déjà dominé par les joueurs professionnels où le jeu des gardiens est plutôt stéréotypé et réduit, cette liberté détonne. Plus qu’un simple gardien, Roose est un showman, prêt à tout pour amuser l’assistance, déstabiliser ses adversaires et rendre fous les fans adverses, qu’il n’hésite pas à braver, en s’asseyant notamment sur la barre transversale lors de différents arrêts de jeu.
Photo de l’équipe de Galles avant son match contre l’Angleterre le 18 mars 1901. Roose est le gardien, tandis que le ballon est entre les mains du capitaine Billy Meredith.
De 1901 à 1907, Roose joue 147 matchs pour Stoke City. Il n’encaisse pas de but lors de 40 d’entre eux. Une performance non négligeable, surtout lorsqu’on sait que son club flirte dangereusement avec la relégation lors en 1901, 1902 et 1904. Cette performance est entrecoupée lors de la saison 1904-05 par un passage à Everton. Arrivé en cours de saison pour remplacer l’Irlandais Bill Scott, qui n’a encaissé que 17 buts lors des 12 premiers matchs de championnat, Roose n’en encaisse pas lors de huit matchs, soit un record proportionnellement meilleur que celui réussit à Stoke. Son niveau de jeu est si bon que lorsqu’il revient de blessure, Scott ne retrouve pas sa place de titulaire. A la fin de cette saison, où Everton finit deuxième du championnat, Stoke lui fait une offre qu’il ne peut refuser, d’où son retour au club.
Après avoir terminé ses études de médecine au King’s College de Londres à 23 ans seulement, Roose se rend compte que le football paie mieux et abandonne la médecine. Car bien qu’ayant gardé son statut de joueur amateur, Roose gagne autant voire plus que les vedettes de l’époque. Car s’il ne reçoit pas d’argent, les clubs s’engagent à financer ses dépenses, qui s’avèrent conséquentes ! Roose quitte Stoke pour Sunderland en 1906. Un transfert qui fait des remous, le club étant accusé d’avoir payé beaucoup d’argent pour le faire venir, ce qui est donc illégal dans le cas d’un joueur amateur. La FA demande alors une liste des dépenses réclamées par Roose. Ce qui amuse beaucoup ce dernier. La FA reçoit ainsi une liste incroyable : « Un pistolet pour menacer les adversaires – 4 pences. Un manteau et des gants pour rester au chaud quand il n’y a rien à faire sur le terrain – 3 pences. Utiliser les toilettes (deux fois) – 2 pences. » De son côté, le club de Sunderland affirme n’avoir payé que pour ses déplacements. Incapable de prouver le contraire, la FA classe le dossier sans suite.
Avec Sunderland, Roose termine deuxième du championnat en 1908 et 1909, avant de sauver quasiment à lui seul le club de la relégation en 1910. Un poignet cassé met cependant une fin à la meilleure partie de sa carrière. Incapable de retrouver son meilleur niveau après cette blessure, il est laissé libre par Sunderland, et honore la dernière de ses 24 capes en sélection galloise. Il part alors au Celtic, mais n’y joue pas. Il évolue les trois saisons suivantes à Huddersfield, Aston Villa puis Woolwich Arsenal en tant qu’entraîneur-joueur.
Mais plus que sa carrière, c’est son excentricité qui a fait entrer ce gardien dans la légende. Une légende alimentée par les nombreuses anecdotes qui lui survivent. Par exemple lorsque, joueur de Stoke, il rate son train pour rencontrer Aston Villa. Avant la Première Guerre mondiale, les compagnies de chemin de fer gardent des trains réservables par des privés. Roose fait appel à un de ces trains, dans lequel il rejoint seul Birmingham. A l’arrivée, il fait envoyer la note de 31 livres – une petite fortune à l’époque ! – à son club.
Le 4 janvier 1902, Liverpool reçoit Stoke à Anfield. La veille, Roose et ses coéquipiers font un grand dîner à base de poisson. Qui s’avère ne pas être très frais. Le lendemain, tous les joueurs de Stoke en ressentent les effets, et encaissent un premier but dès la 8e minute. Un score qu’ils maintiennent miraculeusement jusqu’à la mi-temps. Roose court alors jusqu’aux vestiaires à la recherche des toilettes. Son pouls est à 148 battements par minute. Il ne revient pas sur le terrain. A la reprise, seuls sept de ses coéquipiers sont en état de continuer. Liverpool s’impose 7-0 tandis que le vestiaire de Stoke est décrit par un journaliste comme « une cabine de bateau à vapeur un jour de mauvais temps dans la Manche. »
En 1904, Roose part disputer une saison avec Everton. Lorsqu’il revient à Stoke l’année suivante, Roose fait exploser le taux d’affluence. Avec son retour de son gardien, le club enregistre en effet une moyenne de spectateurs trois fois supérieure à la saison précédente !
En mars 1909, la sélection galloise se déplace en Irlande pour disputer un match de British Home Championship. Mais avant le départ, Roose apparaît à la gare de Liverpool avec un gros bandage à la main droite. Aux journalistes inquiets, il annonce qu’il a deux doigts casés mais qu’il devrait pouvoir jouer. Billy Meredith, coéquipier de Roose, suspecte lui un coup monté. En l’épiant par le trou de la serrure de sa chambre d’hôtel de Belfast, Meredith voit Roose enlever son bandage et bouger ses doigts sans gêne apparente. La nouvelle de la blessure du gardien vedette s’est elle rapidement répandue en ville. Le lendemain, une foule immense assiste à la rencontre avec l’espoir d’une victoire irlandaise. Le match est joué à guichets fermés. Mais Meredith avait vu juste. Les Gallois s’imposent 3-2, grâce notamment à un match grand match de Roose.
Mais ce dernier est allé encore plus loin. Lors d’un match de championnat contre Manchester City, Roose simule en effet une crise de nerfs juste avant l’exécution d’un penalty. Alors que l’attaquant adverse est prêt à s’élancer, il commence à trembler et à se masser frénétiquement les genoux. L’adversaire tire négligemment le penalty et Roose l’arrête sans problème, avant de se tourner les bras levés vers les supporters de City. Un Bruce Grobbelaar bien avant l’heure!
Le 23 avril 1910, Roose est licencié à Port Vale, club devant affronter la réserve de Stoke City pour le titre en North Staffordshire and District League. Roose insiste pour disputer le match contre son ancien club. Il le fait avec le vieux maillot qu’il portait avec Stoke, ce qui créé l’ire des supporters adverses, et sort l’un de ses meilleurs matchs. Un journal écrit : « il a sauvé chaque tir avec une si arrogante facilité que la foule, furieuse, est entrée sur le terrain. Il ne doit qu’à l’intervention courageuse de la police locale de n’avoir pas été jeté dans le Trent. »
Avec Arsenal, son dernier club, Roose retrouve en 1912 son ancien club de Sunderland, contre lequel il fait un grand match. A la fin de celui-ci, il jette son maillot dans les tribunes, puis passe plus de 20 minutes à marcher le long du terrain en serrant les mains et en discutant avec les spectateurs. Quelques semaines plus tard, Leigh Roose met un terme à sa carrière. C’est le moment que choisit la FA pour modifier la Loi 8, qui interdit désormais aux gardiens de toucher le ballon de la main en dehors de leur surface de réparation.
Une fois sa carrière terminée, Leigh Roose retourne à ses premières amours et reprend sa carrière médicale. Bien qu’ayant nettement dépassé l’âge moyen des recrues, il s’engage dès le début de la Première Guerre mondiale dans le corps médical de la British Army. Envoyé dans des hôpitaux de campagne, son rôle est de soigner les blessés britanniques avant leur rapatriement en Angleterre.
Mais en 1916, il décide de rentrer en Angleterre pour s’engager comme soldat dans le 9e Bataillon de Fusiliers Gallois. Son habileté en tant que gardien de but est mise à l’épreuve dans des missions de grenadier. Quelques mois après son arrivée en France, il reçoit la Médaille Militaire pour son courage lors de ses premières missions de combat, et notamment pour avoir affronté seul un lance-flammes allemand dans la Bataille de la Somme. « Le soldat Leigh Roose, qui n’avait jamais visité de tranchée auparavant, était dans la tranchée d’approche lorsque débuta l’attaque du flammenwerfer. Il parvint à revenir par la tranchée et, bien qu’étouffé par les fumées et ses vêtements brûlés, il refusa d’aller au poste de premiers secours. Il continua de lancer les bombes jusqu’à ce que son arme soit vide puis rejoint les renforts et utilisa son fusil avec une grande efficacité, » écrivent les rapports de son régiment.
Promu caporal-chef, Roose est tué quelques jours plus tard, le 7 octobre 1916, dans les tranchées de Gueudecourt, alors que la Bataille de la Somme touche à sa fin. Il n’a que 38 ans. Gordon Hoare, un de ses anciens adversaires sur les terrains de football, affirme l’avoir vu courir vers le no man’s land en tirant avec son fusil. Il est le dernier à l’avoir vu vivant. Son corps sans vie est aperçu peu après par un autre soldat dans un cratère de bombe, mais il n’est pas récupéré. Sa localisation exacte reste aujourd’hui encore matière à dispute. Seul subsiste aujourd’hui son nom, écrit – incorrectement – aux côtés de 70 000 autres sur le Mémorial de Thiepval dédié aux soldats disparus dans la Bataille de la Somme.
Pour en savoir plus: Spartacus Educational ou encore Istoria Fotbalului.
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Excellent ! Quel personnage !
Triste fin, mais quel bonhomme.
Ça me fait penser qu’il faut que je termine ton livre, je l’ai toujours pas récupéré, la maternelle l’a toujours sur sa table de chevet. Mais bon, j’suis assez occupé en ce moment.
Cet article rentre dans mon top 3 de ceux que tu as écrit, avec celui sur le premier capitaine des bleus et celui sur un autre gardien, le géant… Je me souviens plus des titres.
né le 27 novembre 1877 à holt ( PDG ) . mort le 7 octobre 1916 en france .
formé à aberystmyth town au PDG ( 1895 à 1900 )
1900-01: london welsh
01-04: stoke city
04-05: FC everton
05-07: stoke city
07-10: FC sunderland
10-11: huddersfield town
11-12: FC aston villa
11-12: FC arsenal
à 35 ans il rentre au pays de galles ( apres pres de 300 matchs de premier league ) , dans son club formateur ( 1912-1913 ) puis avant la guerre il termine sa carriere au FC llandudno ( PDG 1913-1914 )
c’est le meilleur gardien britanique de l’époque.il est tres puissant ( 1m 86 ) et sur de lui. il compte 24 selections avec le pays de galles ( 1900 à 1911 )