Le monde du foot français ne s’est pas fait remarquer de la meilleure des manières la semaine dernière. Avec ses déclarations fracassantes, Evra ne s’est pas fait que des amis. Et parmi les critiques entendues, il lui a notamment été reproché son manque de discernement, surtout dans le timing. Pas bien malin sur ce coup en résumé. Tout comme les patrons de club qui défendent leur intérêts en menaçant d’une grève, un terme peut-être mal choisi pour un mouvement pas forcément justifié. Bref, de quoi apporter de l’eau au moulin déjà bien fourni de l’idée générale selon laquelle le monde du foot, et les joueurs en première ligne, ne sont pas bien malins. Une critique que Ribéry aime toujours pas bien l’entendre. Pourtant, certains footballeurs sont, enfin ont été, intelligents. Après tout, Sylvain Kastendeuch était bien titulaire d’un diplôme (Bac +5) d’une école supérieure de commerce. Un niveau qui l’a peut-être aidé à ne jamais prendre de carton rouge durant ses 19 ans de carrière. D’autres joueurs, plus ou moins illustres, ont également montré que l’on pouvait aller loin avec de bons bagages.
Niels Bohr par exemple. Certes peu connu, il n’en reste pas l’un des physicien ayant eu le plus grand impact sur la science au XXe siècle. Reconnu comme le créateur de la théorie quantique avec son modèle atomique et élabore les premières théories de réactions nucléaires. Des travaux récompensés par un Prix Nobel de physique en 1922. Avant d’être ce grand savant reconnu et de travailler notamment sur le Projet Manhattan, Niels Bohr brillait sur les terrains en tant que gardien titulaire de l’Akademisk Boldklub, à Copenhague. Une carrière peu étonnante en fait lorsqu’on se penche sur les traditions familiales, basées sur le sport et la science. Fils d’un professeur de physiologie de l’Université de Copenhague, Niels et son frère Harald ont d’abord assouvi leur passion pour le football avant de vouer leur vie à la science. Harald Bohr, avant de devenir mathématicien, a ainsi joué avec son frère à l’AB en 1905, avant d’évoluer en équipe nationale danoise, avec laquelle il remporte la médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Londres en 1908. Il a notamment participé à la victoire 17-1 du Danemark contre la France, score qui reste aujourd’hui le record de la compétition. Aage, le fils aîné de Niels Bohr, obtiendra lui aussi le Prix Nobel de physique en 1975, tandis que son jeune frère Ernest deviendra lui aussi international et participera aux JO de 1948, mais en hockey sur gazon.
Autre exemple, en France. Albert Camus a lui aussi reçu un Prix Nobel, en 1957 pour «l’ensemble d’une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes.» Avant la littérature, Camus s’était lancé lui aussi dans le football. Gardien à 17 ans au Racing Universitaire d’Alger, sa carrière prend cependant fin prématurément lorsqu’il contracte la tuberculose, incurable à l’époque. Un courte expérience qui lui apporte beaucoup : «Après une vie où j’ai vu tant de choses, je peux dire avec certitude que tout ce que je sais sur la morale et le devoir, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre, qui resteront mes vraies universités.» D’autres écrivains français ont occupé le poste de gardien de but à travers le temps. Louis-Ferdinand Céline, Nabokov, à Cambridge, qui écrit de ce poste « Il est l’aigle solitaire, l’homme de mystère, le rempart ultime. » Et Henry de Montherlant, qui a notamment gardé les buts du Stade Français et du club du journal L’Auto.
La Norvège a elle un aspect intéressant, avec au fil du temps plusieurs joueurs qui ont eu une carrière de journaliste en parallèle à celle sur le terrain. Parmi eux, Jorgen Juve, un joueur au nom prédestiné pour le foot. Lorsqu’il honore sa première sélection en équipe de Norvège en 1928, Juve écrit déjà pour le Dagbladet, un grand quotidien national. Avec 33 buts à son actif, Juve est aujourd’hui encore le meilleur buteur de l’histoire de la sélection norvégienne. Un nombre de buts appréciable lorsqu’on sait qu’il a été sélectionné 22 fois comme attaquant, après 23 apparitions en tant qu’arrière droit, son poste d’origine ! Appréciable également lorsqu’on compare ce score à celui des meilleurs attaquants encore en activité, John Carew (23 buts) et Steffen Iversen (21 buts). 74 ans après son dernier match en équipe nationale, Juve n’est apparemment pas encore prêt de perdre son record.
Svein Erling Mathisen est un autre journaliste qui s’est également fait remarquer par une brillante carrière. Joueur du IK Start et 25 fois sélectionné en équipe nationale, Mathisen était avant tout journaliste au Faedrelandvennen, un journal régional. Atteint d’un cancer, Mathisen a joué jusqu’au dernier moment, sa dernière apparition publique, en 2010, a été un tournoi local. Avec 327 matchs disputés entre 1973 et 1989, Mathisen a longtemps été le joueur comptant le plus d’apparitions en première division norvégienne, avant d’être dépassé par des joueurs tels que Roar Strand, Christer Basma, Erik Hoftun, Bjørn Johansen et Ola By Rise.
Svein Mathisen, à droite, pour l’une des toutes dernières apparitions sous le maillot de l’IK Start, en août 1989.
Ola By Rise justement. Gardien de but de Rosenborg durant 18 saisons, Rise écrivait en parallèle pour Adresseavisen, journal régional et l’une des publications les plus importantes de Trondheim à l’époque. Bien qu’il ne compte que 25 sélections en équipe nationale, Rise est titulaire d’un record moins heureux, celui du plus grand nombre de matchs sur le banc de sa sélection. Rise a en effet suivi pas moins de 54 matchs sur le banc sans entrer en jeu, notamment lors des Jeux Olympiques 1984 et de la Coupe du Monde 1994. Un petit malheur qu’il doit à Erik Thorstvedt, titulaire indiscutable à l’époque et peut-être l’un des tous meilleurs gardiens de but norvégiens de tous les temps. Après avoir passé toute sa carrière à Rosenborg (457 matchs!), comme joueur puis entraîneur, Rise est devenu en 2004 gérant de la station de radio NRK avant de revenir au football deux ans plus tard en tant qu’entraîneur-adjoint de la sélection norvégienne, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.
Retour en France, pour un épisode sensiblement différent. Joueur de 1906 à 1919, douze fois international, Gabriel Hanot met fin à sa carrière sur les terrains suite à une blessure due à un accident d’avion (il s’était engagé dans l’aviation durant la Première Guerre mondiale). L’arrière gauche, agrégé d’allemand, devient alors journaliste sportif, au Miroir des Sports puis à L’Equipe. Rapidement renommé pour la qualité de ses interventions, Hanot devient assistant officieux auprès de l’équipe de France durant l’entre-deux-guerres avant d’obtenir le poste de sélectionneur en décembre 1945. Un poste qu’il tient jusqu’en juin 1949 et un événement improbable.
Le 19 juin 1949, la France coule à Colombes face à l’Espagne (1-5). Le 4-2-4 adopté par Hanot s’avère rapidement dépassé par les Espagnols. Le soir même, de retour à son poste pour L’Equipe, Hanot trouve une équipe éditoriale timorée, n’osant pas critiquer le confrère qu’il est. Qu’à cela ne tienne, c’est lui qui prend la plume et publie une diatribe virulente contre les choix du sélectionneur et la pauvreté du jeu de son équipe. Au final, Gabriel Hanot, rédacteur en chef de la rubrique football de L’Equipe, appelle dans son papier – certes sans le signer – Gabriel Hanot à démissionner de son poste de sélectionneur avec ces mots: « Seul le sélectionneur n’a pas réussi sa saison. S’il suffit de remplacer un homme alors nous le ferons. » Sa démission sera présentée et acceptée dans la foulée.
Déjà à l’origine du passage au professionnalisme du football français en 1932, Gabriel Hanot fait part en décembre 1954 à ses collègue Jacques Ferran, Jacques Goddet et Jacques de Ryswick d’une idée qu’il a en tête : une compétition européenne des clubs. Une idée qui prend rapidement forme sous le nom de Coupe d’Europe des Clubs Champions, l’actuelle Ligue des Champions. Quelques mois plus tard, c’est encore lui qui est à l’origine de la remise, par son magazine France Football, du Ballon d’Or. Gabriel Hanot est ainsi, avec bien d’autres, l’exemple que footballeur et intelligent, c’est possible.
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7 commentaires
Plutôt qu’intelligents, j’aurais écrit cultivés car l’intelligence ne se mesure pas aux nombre de diplômes heureusement
Sinon, à Lyon on a eu Romarin Billong titulaire d’un DESS de gestion. Ou encore Sassus qui était ingénieur chimiste !
J’allais le citer justement… J’en ai discuté il y a longtemps avec une conaissance qui avait fait math-spé avec lui… Et je suis d’accord avec Xaxou, ne confondons pas éducation avec intelligence. Même si il n’est pas interdit d’avoir les deux.
Si je me souviens bien, Jean-Luc Sassus n’a pas été le dernier à mettre de l’huile sur le feu entre Marseillais et Parisiens sous l’air Houiller.
S’adressant à Fournier, il lui aurait crier pendant un France-Autriche : « …Pas la peine de courir, les marseillais jouent entre eux… », bonjour l’ambiance et pas très futé. Surtout que quelques temps plus tard, on a eu droit à un certain France-Bulgarie.
Très bon article PJ, comme d’hab’.
Et moi j’suis ‘achement éduqué avec mon « sous l’air »…
Sous l’ère, donc… Pardon, mes aisskuzes.
Sans oublier « Doc » Sòcrates
Après la fin de sa carrière footballistique, il exerça comme médecin le restant de sa vie.
Ah, celui-là, quelle classe sur un terrain, quelle allure… Raaaah, le France-Brésil de 86 à Guadalajara, quel souvenir.
Tiens, j’enclenche le mode vieux schnock : Le ballon qui sort pas, peu de fautes, le but de Careca, Bats qui arrête le penalty de Zico pendant le match, puis fait des miracles ensuite, Platoche qui rate son tir au but, mon père qui n’en revient pas et Fernandez qui fait pleurer tout le Brésil.
L’ attaquant espagnol Butragueno alias « El Buitre » du Real du milieu des années 80 avait un bon bagage en droit si je me souviens bien et un sacré niveau sur le terrain. Maintenant je pense que c’est malheureusement le système qui veut ça , des joueurs pas trés « fute fute » qui se prennent la tête avec des journalistes qui ne valent certainement pas mieux qu’eux , ah ben oui ce que dit untel ou untel c’est pas bien mais à qui profite le crime ? Du moment que ça fait vendre……
Petite réflexion sur l’intelligence des dirigeants de club :
Soit un joueur gagnant 2 million d’euros net par an. Son salaire super brut est donc de 3 640 000 €.
Au niveau de l’impôt sur le revenu, le joueur est taxé au taux marginal de 41%. Dans le cadre de la taxe à 75%, il reste donc 34% pour les revenus supérieurs à 1 millions d’euros soit 340 000€. A ce stade, cette taxe va représenter une augmentation du cout de ce joueur de 9.5%.
En tout ce joueur va rapporter à l’Etat 1 640 000 de charges et 1 200 000 d’impot soit 2 840 000.
A titre de comparaison, le nouveau stade de Bordeaux doit bénéficier d’une participation des collectivités territoriales de 75 millions d’euros soit l’équivalent de ce qui est reversé à l’Etat pour 26 joueurs à deux millions net par an.
Je serai président de club, j’éviterai d’agacer les électeurs des gens qui donnent des subventions…
Analyse volontairement incompléte.