Avec les récents événements et la destitution du président Viktor Ianoukovitch, l’Ukraine vit un véritable bouleversement historique. Un changement radical, semblable à ce que la Roumanie a pu vivre voilà 25 ans, rien de moins. Le monde du sport, et en premier lieu le football, va évidemment s’en trouver profondément impacté. Suspendu jusqu’à nouvel ordre, le championnat ukrainien ne reprendra pas ce week-end après sa longue trêve hivernale. Tête d’affiche de cette reprise, le match Dynamo Kyiv-Shakhtar Donetsk n’aura donc pas lieu dimanche soir. Mais aura-t-il lieu, tout simplement ? Les bouleversements sont déjà si importants que c’est l’avenir même de plusieurs clubs de l’élite qui est menacé.
Sept fois titré sur les neuf dernières saisons, le Shakhtar Donetsk est lui-même menacé. Avec la chute de Ianoukovitch, c’est tout un système qui va être mis à jour. Les Ukrainiens peuvent visiter depuis quelques jours la luxueuse villa Mezhyhirya, que l’ex-président et ses équipes ont laissé à l’abandon. Une villa que les journalistes de tous bords se sont empressés d’investir pour y rassembler tous les documents qui pouvaient s’y trouver. Le but est simple : trouver toutes les preuves de corruption possibles afin de traîner Viktor Ianoukovitch devant les tribunaux. Et comme l’explique cet excellent article du Monde, il s’est très rapidement avéré que le président ukrainien vivait largement au-dessus de ses moyens, en bénéficiant d’un large réseau mêlant corruption et pots-de-vin.
Parmi les oligarques proches de l’ancien pouvoir se trouve l’homme le plus riche du pays: Rinat Akhmetov. Propriétaire du Shakhtar Donetsk, Akhmetov s’est affiché en soutien du mouvement révolutionnaire, en adressant notamment des message de condoléances aux familles et aux proches des Ukrainiens décédés suite aux troubles qui ont éclaté dans le pays. Difficile cependant de cacher sa proximité avec le système Ianoukovitch. Le mouvement Automaidan demandait dès fin janvier le blocage des comptes de l’hommes d’affaire, ce que le nouveau pouvoir en place à Kyiv envisagerait de faire sous peu. Sans avoir la main sur fortune estimée à près de 15 milliards de dollars, il est peu probable qu’Akhmetov puisse continuer à injecter les 100 millions d’euros annuels qu’il investit dans son club. Un coup dur pour le club, même si celui-ci peut encore (un peu) vivre de ses rentes, avec des ventes de joueurs qui lui ont rapporté près de 105 millions d’euros ces deux dernières saisons.
Rinat Akhmetov et son équipe multi-championne d’Ukraine
D’autres clubs sont en position délicate, dans l’est et le sud pays notamment. Le plus mal loti semble être le Metalist Kharkiv, pourtant actuellement deuxième du championnat derrière le club de Donetsk. Repris en décembre 2012 par un homme d’affaires de 28 ans, Sergei Kurchenko, le club est aujourd’hui au bord de la faillite. Les salaires des joueurs ne sont plus versés depuis quatre mois, de l’aveu même de l’entraîneur Myron Markevych. La plupart d’entre eux ont porté leur cas devant l’UEFA afin d’être libérés de leurs contrats, tandis que Markevich a lui démissionné de son poste. De son côté, le club ne communique plus et Kurchenko, proche de Viktor Jr, le fils de l’ex-président Ianoukovitch, reste introuvable. Et le Rubin Kazan a annoncé aujourd’hui le recrutement de Marko Devic, meilleur de Premier League ukrainienne pour cinq millions d’euros.
D’après plusieurs médias, près de la moitié des clubs de l’élite sont en proie à des problèmes financiers. Parmi eux, le Zoryia Lugansk, Metalurg Zhaporyzhie, Tchernomorets Odessa, Illichivets Maryupol, Sebastopol et le Tavriya Simferopol. Situé en Crimée, où s’affrontent en ce moment Tatars et pro-Maidan d’un côté et partisans de l’unification à la Russie de l’autre, la ville de Simferopol est devenue le nouveau centre des combats, alors que les choses se sont calmées à Kyiv. Tenu depuis plusieurs années par des hommes d’affaires proche des mouvements mafieux locaux, le Tavriya Simferopol est lui aussi détenu par un proche de Ianoukovitch. Et là encore, l’avenir est flou. Ancien maire de la ville et actuel Premier Ministre de Crimée, une république autonome, Serhyi Kunitsyn a fuit l’Ukraine, tandis que les bâtiments officiels de la ville, pris d’assaut par des soldats pro-russes, ont aujourd’hui le drapeau tricolore flottant sur leurs toits.
Nous sommes aujourd’hui à l’aube de grands bouleversements dans ce grand pays, et notamment dans le secteur sportif. Outre les clubs, de nombreux changements devraient avoir lieu à la tête des différentes fédérations sportives, tenues par des proches de l’ancien pouvoir central. La fédération ukrainienne de football est ainsi actuellement présidée par Anatoli Konkov. Ancien joueur et entraîneur du Shakhtior Donetsk, Konkov est, comme la majorité des édiles de lest du pays, un soutien de Ianoukovitch. Une position qui ne devrait pas lui permettre de garder son fauteuil bien longtemps.
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Coïncidence ou pas, les quatre clubs ukrainiens engagés dans les 16e de finale d’Europa League ont été éliminés ce soir.
C’est ce que j’ai constaté également.
Malgré tout, les joueurs qui composent ces équipes doivent penser à autre chose qu’à la compétition… Ukrainien ou pas.
D’ici à ce qu’on assiste à un exode massif, il n’y a pas loin.
De toute façon, je pense qu’en ce moment les ukrainiens ont autre chose à penser qu’aux résultats de leurs équipes de foot.
surtout que le pays se divise et que la russie a fermée sa frontiere !!!
l’ukraine a bien vite sombrée dans le néant , dans le chaos …. comme quoi, c’est pasqu’on est dans l’UE que rien ne peu arrivée
de tres beau 8 ieme d’europa league , OL – PILZEN , BALE – SALZBOURG + 2 gros chocs , betis – FC sevilla , juventus – fiorentina
Très bel article PJ, merci.
Concernant la situation politique ukrainienne, je dirais que c’est chaotique depuis l’indépendance à cause de tous ces politicards corrompus. Quand on sait comment Ianoukovitch, condamné par le passé pour viol, a été élu … Genre, devant les bureaux de vote, il y avait des gros bras qui indiquaient pour qui voter sinon représailles. Sans parler des morts qui votaient …
Et la Crimée, c’est un problème sous jacent depuis longtemps. Et il ne faut pas croire que si la Crimée était rattachée à la Russie, tous les problèmes seraient réglés. Pas tant que la population originelle tatare est opprimée en tout cas.
Apparemment, c’est le Tchernomorets Odessa qui ouvre le bal. Le club a annoncé hier que ses cinq meilleurs joueurs étrangers: Sito Riera, Pablo Fontanello, Franck Dja Djedje, Anderson Santana et Markus Berger. L’équipe ne compte plus dans son effectif que deux étrangers, l’Albanais Elis Bakaj et le Brésilien Léo Matos. Mais pour combien de temps encore?
Après avoir éliminé le PSV Eindhoven et avoir mené la vie dure à l’OL, le club d’Odessa, actuel cinquième du championnat ukrainien, voit son avenir s’assombrir. Son patron, Leonid Klimov, parlementaire au sein du Parti des Régions, la formation politique de Ianoukovitch, et à la tête d’une fortune s’élevant à 100 millions de dollars, pourrait voir ses comptes être bloqués. Selon certaines sources, il aurait annoncé à l’ensemble de ses joueurs qu’ils allaient être libérés, et que, faute de moyens, le club allait être dissout. Bakaj et Léo Matos ne sont d’ailleurs pas rentrés en Ukraine, et l’Albanais, qui a déjà joué au Dinamo Bucarest, est actuellement présent en Roumanie, où il négocierait avec le Poli Timisoara.
Dans un autre ordre d’idée, Bernard, la dernière trouvaille brésilienne de Mircea Lucescu, n’est lui aussi toujours pas revenu en Ukraine et a déclaré vouloir quitter le Shakhtar Donetsk si la situation ne s’améliorait pas.
Ça s’annonce assez cataclysmique.
Ton article risque d’être actif un bon moment, mon cher PJ.
Ce n’est que le début de quelques chose que je trouve très inquiétant.
Petite interview de l’Albanais Bakaj (du Chernomorets Odessa)dans Prosport aujourd’hui. Il est de passage à Bucarest, et n’ira apparemment pas à Timisoara pour la fin de la saison. Extraits:
« Le vice-président du club est venu nous voir voila deux jours pour nous annoncer que nous étions libres de quitter le club. Nous sommes payés jusqu’à la fin du mois. (…) Je suis rentré d’Odessa où les choses ne sont plus à leur place et, malheureusement, l’équipe va être dissoute. (…) Personne ne pense plus au football en Ukraine. Le plus important est de sauver ta famille, de sauver ta peau. Odessa est proche de la Crimée, à deux heures de bateau. (…) C’est difficile de trouver une équipe maintenant. Tous les championnats ont repris, les groupes sont formés. Je vais retourner en Albanie jusqu’à cet été puis je reviendrai dans un meilleur championnat. (…) C’est dur. Je suis très triste de ce qu’il s’est passé. Nous avions une très bonne équipe à Odessa et j’y étais très bien à tous points de vue. Sincèrement, il ne me manquait rien là-bas, sur le plan professionnel comme matériel. Malheureusement, d’autres équipes ukrainiennes vont disparaître. Le football ukrainien va beaucoup souffrir. »
En effet, c’est très inquiétant et tout est dit:
« …Personne ne pense plus au football en Ukraine… »
Ce qui est assez compréhensible vu l’actualité.
Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est temporaire.
Le football ukrainien reviendra, probablement différemment.
Peut-être sans connexions politiques, ce qui ne sera pas un mal.
Encore du nouveau aujourd’hui, avec l’arrestation à Vienne de Dmitry Firtash, président du Tavriya Simféropol (lanterne rouge de Premier Liga). Oligarque qui s’est enrichi dans le gaz, Firtash fait partie du premier groupe de proches autour de Ianoukovitch. C’est surtout le dixième homme le plus riche d’Ukraine, avec une fortune estimée à 500 millions d’euros, et un homme considéré comme plus influent auprès de l’ancien président que Rinat Akhmetov.
Le FBI enquête sur lui depuis 2006, et de forts soupçons de liens étroits avec la mafia russe. C’est dans le cadre de cette enquête qu’il a été arrêté, pour « corruption et formation d’une organisation criminelle » supposées.
Ca sent donc la fin également pour le club de Simféropol, mais il est vrai que c’est le cadet des soucis actuels en Crimée…