«Je ne sais rien sur lui, je ne sais même pas s’il est encore en vie. On m’avait dit qu’il était mort!» La phrase est de Stefan Iovan, ancien capitaine du Steaua Bucarest, lorsque les journalistes lui parlent d’Ion Cojocaru, un de ses anciens coéquipiers. C’est dire si ce dernier avait totalement disparu de la circulation ! Sa soudaine réapparition provoque donc la stupeur depuis quelques jours dans les médias roumains. D’autant plus qu’elle a lieu loin de la Roumanie et des terrains de football. A tel point qu’une usurpation d’identité n’est toujours pas exclue. Entre un imbroglio financier, la Formule 1, des balais et le patron des Queens Park Rangers, focus sur une histoire rocambolesque, comme seule la Roumanie sait nous en offrir.
L’histoire d’Ion Cojocaru débute dans les années 80. Junior au sein du Corvinul Hunedoara, équipe historique du championnat roumain – aujourd’hui disparue – réputée à l’époque pour sa formation. Un certain Mircea Lucescu, qui y a terminé sa carrière de joueur, repère cet attaquant blond (une particularité suffisamment rare au pays pour être signalée) et le fait venir au club. Lucescu parti entraîner l’équipe nationale, le jeune Ion Cojocaru continue sa progression et se retrouve lancé à 20 ans dans le grand bain de la Divizia A. Il y fait une bonne première saison avec 13 matchs et deux buts. Il explose dès l’année suivante, devient titulaire à part entière dans l’effectif transylvain et international espoir. L’inévitable arrive cinq saisons plus tard : Cojocaru rejoint en janvier 1987 la capitale et le Steaua, vainqueur de la C1 une année plus tôt.
Mais tout ne se passe pas comme prévu. Barré par Piţurcă et Lăcătuş, l’attaquant transylvain ne joue que des bouts de matchs dans cette seconde partie de saison. Deux fois buteur en championnat, il connaît son heure de gloire le 6 avril 1988 lorsqu’il entre en jeu à la place de Dan Petrescu dans le dernier quart d’heure de la demi-finale aller de Coupe d’Europe des Clubs Champions. Il ne parvient cependant pas à marquer et le Benfica quitte Bucarest sur un bon 0-0. Vainqueurs du match retour, les Lisboètes éliminent les Bucarestois. Cojocaru vient de participer pour la première et dernière fois à une rencontre européenne.
Face au Benfica, Cojocaru manquera le cadre sur sa seule occasion de but.
Cantonné à un statut de remplaçant, Cojocaru, international espoir, voit son élan coupé. Dès la saison terminée, il quitte Bucarest et repart au Corvinul dès l’été suivant. Amateur de vin et de femmes, le beau blond a perdu son niveau dans les nuits bucarestoises. «Il avait du talent mais était un je-m’en-foutiste. Ce n’était pas un gars très intelligent,» dit de lui un de ses anciens coéquipiers au journal Prosport, qui relate cette histoire. Des abus qui lui font perdre son niveau et son envie. De retour en Hunedoara, Cojocaru ne marque qu’à deux reprises en deux saisons. Un petite pige au FC Braşov plus tard, il met un terme à sa carrière en 1991, à 29 ans à peine.
La suite, personne ne la connaît vraiment. Dans ces années post-communistes, les bouleversements sont incessants en Roumanie. Disparaître des écrans radar est une chose relativement aisée. Personne n’a de nouvelles de Cojocaru pendant des années et plusieurs de ses anciens coéquipiers bucarestois le croient mort. Une descente aux enfers plausible en ces temps troublés. Son retour sur le devant de la scène est lui bien étonnant.
C’est à Leafield, dans la banlieue d’Oxford que Prosport a retrouvé notre homme. Dans une interview accordée au journal sportif roumain, Constantin Ion Cojocar – sa nouvelle identité – répond principalement de manière monosyllabique, sauf quand il s’agit de lever le voile sur ces années difficiles. A la fin de sa carrière, il est resté à Braşov, où il travaille à un dépôt d’autobus pour un salaire plus que modeste. Cherchant à devenir entraîneur, il ne trouve ni poste, ni aide de la part de ses anciens coéquipiers. De ses dires, le seul à l’aider est alors Gigi Becali, avec qui il a quelques affinités, notamment politiques. Jusqu’à ce que la honte le pousse à couper les ponts.
LA suite de l’histoire nous mène en Malaisie, pays de Tony Fernandes. Patron de la compagnie aérienne AirAsia, celui qui n’est pas encore président de QPR lance une nouvelle écurie de F1, 1Malaysia Racing Team, aujourd’hui Caterham F1 Team. Une écurie qui ne participera pas aux deux prochains Grands-Prix (Etats-Unis et Argentine) suite à un imbroglio financier et sa mise sous administration judiciaire. Une histoire compliquée (pour tout savoir, c’est par ici!) entre Fernandes, qui affirme avoir vendu ses parts, Engavest, qui l’accuse de ne pas avoir respecté les termes de la vente, et Caterham Sports, écurie aux dettes évaluées à 24 millions d’euros. Une écurie dont le directeur et unique actionnaire est un certain… Constantin Ion Cojocar! Amateurs de rebondissements, vous voilà servis. L’ancien élève de Lucescu senior à la tête d’une société britannique en banqueroute, c’est trop gros pour être vrai. Les médias parlent d’une usurpation d’identité. Et sur un plan personnel, je dois avouer que j’ai hésité avant de compter cette histoire.
L’intéressé explique. N’attendant plus rien de ses connaissances, l’ancien attaquant quitte la Roumanie pour l’Angleterre, dans l’espoir d’un travail mieux payé. Il en trouve un à Leafield, où la société Engavest (dirigée par Colin Kolles, Roumain natif de Tomişoara) l’engage comme technicien de surface dans le garage où sont préparées les monoplaces. Mais, en litige avec Fernandes, la société renonce à acheter l’écurie, qui reste alors sans maison-mère. Déficitaire, celle-ci n’a d’autre choix que de licencier ses employés. Sauf Cojocar. «Que dire ? demande l’intéressé. Un dirigeant Italien m’a reconnu. Il m’a dit: ’Tu es un ancien joueur, tu ne peux pas faire le ménage ici. A partir d’aujourd’hui, tu es directeur!’ Et j’ai été nommé directeur.»
Pas encore promu directeur, Cojcar prend la pose avec sa tenue de technicien de surface.
Devant une histoire si incroyable, bien des questions se posent. Quel dirigeant l’a nommé directeur ? Avec quels fonds a-t-il pu avoir des parts dans l’entreprise ? Que va devenir l’écurie Caterham, qui n’est pas bien partie pour faire son retour sur les circuits ? Quelle carrière aurait pu vivre Cojocaru s’il était resté une saison de plus au Steaua, finaliste de la Coupe d’Europe des Clubs champions en 1988 ? Quel avenir l’attend aujourd’hui ? Mais surtout, Ion Cojocaru et Constantin Ion Cojocar sont-ils réellement la même personne ?
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