Si vous nous suivez régulièrement, vous savez certainement l’état dans lequel se trouve le football roumain depuis plusieurs années. Les difficultés économiques s’accumulent, les affaires se multiplient et les clubs disparaissent les uns après les autres. Si les disparitions ne touchaient il y a quelques années que des équipes des divisions mineures, elles ont commencé à toucher l’élite ces dernières saisons. Chaque année, au moins une des équipes reléguées a disparu. Un cycle qui devrait se poursuivre cette année, voire s’accentuer avec les situations précaires du CFR Cluj, de l’Oţelul Galaţi ou encore du Rapid Bucarest. Miné par les affaires de ses présidents fraudeurs à la gestion hasardeuse, avec à son sommet Gigi Becali dont le Steaua fait toujours autant parler, le football roumain semble courir à sa perte. Au milieu de ce marasme existe cependant un espoir.
Cet espoir est représenté par un tournoi: Fotbal fără patroni, turneul celor liberi. En français Football sans patron, le tournoi de ceux qui sont libres. S’il ne se déroulera que sur une courte durée – la journée d’aujourd’hui – ce tournoi a une très forte résonnance. C’est en effet une grande première puisqu’il réunira les quatre équipes fondées et gérées par des associations de supporters en Roumanie.
«Après avoir resserré leurs rangs et viré à coups de pied les coffres remplis d’argent, les propriétaires véreux et le football moderne, les équipes ressuscitées par les supporters unissent de nouveau leurs forces et se rencontrent lors d’un tournoi de futsal,» écrit dans sa présentation la page Facebook des organisateurs.
Ces quatre équipes sont en effet des descendantes d’anciens clubs de l’élite disparus ces dernières années: le SS Politehnica Timişoara, le FC Vaslui 2002, le FC Argeş 1953 Piteşti et le LSS Voiţa Sibiu. Des équipes qui ont toutes succédé à un club défunt ces dernières années. En attendant peut-être un cinquième club la saison prochaine, des rumeurs faisant état d’une possible résurrection du grand FC Universitatea Craiova, où l’association des supporters, forte de (déjà ) 800 membres, négocie la reprise du défunt club.
Qu’est-ce qu’une équipe sans patron? Adrian Brătoiu, du Voinţa Sibiu, a accepté de mieux expliquer le système commun à ces clubs: «Le club est financé directement par les supporters, qui gèrent eux-mêmes chaque département du club. Les ressources financières proviennent des cotisations des membres, des dons, de sponsors, de notre fan-shop, du formulaire 230 (dit 2% d’impôts) et de diverses actions de levée de fonds. Nos joueurs et supporters ont notamment participé au semi-marathon de Sibiu pour sensibiliser la communauté locale au sort du football dans notre ville.» Le système ressemble à celui en vigueur en Espagne, avec les Socios. Chaque supporter peut ainsi, par sa cotisation, prendre une part active à la destinée de son équipe. Des équipes qui s’appuient sur ce fameux formulaire 230, qui permet, selon la législation roumaine, à chaque contribuable de décider à quelle association il veut reverser 2% de ses impôts. Ces reversions, dont la campagne bat son plein en ce moment même, sont une entrée d’argent majeure pour les clubs.
En ce début d’année, la campagne 2% bat son plein. A Timişoara comme à Sibiu, on compte sur le plus grand nombre.
Cette saison, ce sont donc quatre équipes gérées par leurs supporters qui refont surface et sont présentes en Liga 4. Avec un certain succès d’ailleurs, car trois d’entre elles sont encore en lice pour la montée à l’échelon supérieur. Le Poli Timişoara est en tête de son groupe, tandis que le FC Argeş, deuxième, et le FC Vaslui, quatrième, peuvent encore prétendre à la première place de leur groupe, synonyme de présence aux barrages pour la montée. Seul le club de Sibiu, deuxième de son groupe avec 14 points de retard sur le leader, semble devoir abandonner tout espoir de promotion.
L’autre succès de cette année est la reconnaissance grandissante du public et des médias. A ce niveau de compétition, les matchs se jouent dans les stades champêtres de petits villages. La présence massive des supporters, du Poli notamment, a donné naissance à des vidéos atypiques qui ont fait le tour du monde, en passant notamment par PF. Le match amical disputé il y a quelques semaines par le Poli et le FC Argeş a été l’occasion d’une nouvelle démonstration de leurs supporters (voir notamment l’excellent article de Footballski à ce sujet). Réunies pour fêter le 93e anniversaire du club transylvain, les deux équipes aux couleurs mauve et blanc se sont faites plaisir ce jour-là , avec un résultat nul (2-2) dans une ambiance incroyable.
Le tournoi de Sibiu est l’apothéose. Bien que se jouant en salle, il attire tous les regards. La grande salle Transylvania de Sibiu sera pleine, les quatre clubs ayant annoncé un déplacement massif de leurs fans. Le public sera ainsi bien plus nombreux pour cette journée que dans bien des stades de Liga 1! Enfin, et c’est un tour de force, les rencontres seront retransmises en direct (visible notamment sur le site de Naşul.tv). Une occasion unique de montrer que oui, un autre football est possible en Roumanie, loin des riches et véreux hommes d’affaire que l’on est habitué à voir dans le football professionnel.
Adrian Brătoiu, responsable du LSS Voiţa Sibiu, qui accueille le tournoi, a accepté de nous en dire plus.
Peux-tu nous parler un peu de ton club, Voiţa Sibiu?
C’est une toute nouvelle équipe qui n’a aucun lien avec l’ancienne (dissoute en 2012) du point de vue du financement, mais qui cherche à entretenir les bonnes valeurs qui l’accompagnaient ces cinq dernières années: dévouement, ambition, lutte (Voinţa signifie d’ailleurs la volonté). Ce sont ces valeurs qui nous ont unis autour du club et nous ont fait croire que le football pouvait renaître à Sibiu. Le nouveau club a été fondé et est soutenu par l’association Liga Suporterilor (la Ligue des Supporters) avec le désir de voir pérenniser le nom de Voiţa Sibiu.
Le succès de l’association Druckeria à Timişoara vous a-t-il inspiré?
L’idée de la création d’un club sur le modèle des socios espagnols s’est plus imposée comme une nécessité lorsqu’on a senti que le club allait faire faillite. C’est le quatrième club fanion de la ville qui disparaît (après l’Inter, Soimii et le FC Sibiu), on en a eu marre. Mais c’était finalement une occasion unique de réinvestir notre passion et notre énergie dans un nouveau projet. L’initiative de Timişoara a évidemment compté dans une certaine mesure lorsque notre projet est né à l’automne dernier.
Aujourd’hui, les résultats sont bons pour les quatre clubs « sans patron », comment expliquez-vous ce succès immédiat?
Ce n’est quand même pas un succès immédiat. LSS Voiţa Sibiu a parcouru un long chemin ces deux dernières années pour en arriver là où elle en est aujourd’hui. Nous sommes passés par toutes les phases, depuis les essais et les défaites à la chaîne jusqu’aux résultats encourageants voire très bons d’aujourd’hui. Le succès que rencontrent les quatre clubs est dû à des motivations communes: l’ambition de démontrer que l’on peut réussir autrement, la passion et le dévouement extrême des fans qui investissent énormément de leur temps et de leur argent pour revoir leur club au plus haut. Peut-être aussi le désir de montrer aux dirigeants corrompus que le football n’est pas mort avec eux dans ces villes et qu’un club peut vivre grâce à la tradition et à ses supporters.
Jusqu’où pensez-vous que ces clubs puissent aller? Le but est-il de se fixer en L3, voire L2, ou peut-on imaginer un club « sans patron » s’installer en L1, dans le monde professionnel?
Tout est possible. Je ne crois qu’il y ait de limite. Le « patron, » tel qu’il est vu en Roumanie, est arrivé à éloigner les sponsors et partenaires à cause du manque de transparence et des scandales dans lesquels est plongé le club qu’il dirige. Cette notion « sans patron » peut justement attirer les sponsors auprès d’une équipe en qui on peut faire confiance sur le long terme.
Selon vous, le système « sans patron » est-il applicable partout en Roumanie? Timişoara, Piteşti ou Sibiu sont des villes à forte identité régionale, pensez-vous qu’un tel club pourrait exister là où d’autres clubs ont disparu, comme à Brăneşti par exemple, voire à Bucarest, avec le Sportul Studenţesc ou le Naţional?
Ce n’est effectivement pas applicable partout. Cela ne peut fonctionner qu’avec les équipes de villes à forte tradition footballistique. Mais le terme «appliqué» me paraît étrange. Créer un tel club, cela vient naturellement, cela représente un désir, une volonté des supporters d’un club historique d’agir.
En parlant de Bucarest, vous suivez les affaires autour du Steaua?
Je ne peux me prononcer d’aucune manière à ce sujet. Notre univers footballistique ne tourne qu’autour de notre équipe, LSS Voiţa Sibiu. Pour le reste, tous les clubs du pays reçoivent le même intérêt de notre part, du Steaua Bucarest au Sparta Mediaş.
Et avez-vous eu des contacts avec des supporters bucarestois, du Steaua, du Rapid ou du Dinamo? Pensez-vous qu’un nouveau club pourrait leur succéder s’ils venaient à disparaître?
Je ne vois pas de quel type de contact tu veux parler. Mais non, nous n’avons eu aucun contact. De toute manière, ce sont eux les mieux placés pour connaître la situation de leur club. Mais au-delà de l’image d’Epinal, ce n’est sincèrement pas souhaitable. Le modèle « socios » est vraiment beau, le fait de diriger son club est idéal du point de vue du supporter, mais c’est extrêmement difficile. Parce qu’il faut se baser sur le volontariat, l’esprit civique, l’amour inconditionnel envers son club, la patience. Et ça, dans la Roumanie actuelle, seul un petit pourcentage des supporters le comprend, quel que soit l’endroit où ils se trouvent et l’histoire de leur club.Pour que ce modèle fonctionne, il faut l’implication du plus grand nombre. Et le plus grand nombre va où il y a des résultats. Les choses changent mais il faut du temps et de la patience.
Et hors de la capitale, que pensez des mairies qui rachètent des clubs de villages voisins, comme à Craiova ou Timisoara? (qui ont repris de petits clubs voisins, le FC Caracal et l’ACS Recaş, pour les transformer en CSU Craiova et ACS Poli Timişoara, aujourd’hui en L1 et L2)
Il peut y avoir des cas politiques, des mairies qui agissent ainsi pour des motifs électoraux et d’autres qui, comme nous, souhaitent sauver un club historique. Mais elles appliquent la forme sans le fond par superficialité, par méconnaissance des valeurs et de l’histoire du club mais aussi par manque de patience pour créer pas à pas un club puissant, parce leur mandat n’est pas forcément assez long. Elles traitent la « situation » comme un « problème à résoudre, » comme une question à l’ordre du jour parce qu’elles n’ont pas assez de connaissances dans le domaine pour être capables de comprendre que le football est bien plus qu’un « problème. » Pour certains, le club est l’emblème de la ville, l’équipe s’identifie à la ville, à son histoire, parfois depuis plus de 100 ans. Mais ce que font ces mairies est lié à la mentalité des supporters. Comme je le disais, si la majorité d’entre eux n’a pas d’identité footballistique bien définie et change d’équipe en fonction des résultats, les maires vont agir de la même manière pour obtenir le vote de cette majorité…
Dernière question: que représente pour vous ce tournoi de Sibiu? Qu’en espérez-vous?
C’est la première édition de ce tournoi, qui réunit les quatre équipes qui ont choisi cette voie de la renaissance depuis le niveau le plus bas, mais de manière propre, par ses simples supporters. C’est une bonne occasion de mieux faire entendre notre voix et ça va être un très bon tournoi de préparation pour nos joueurs. Nous avons choisi d’organiser cette première édition ici, à Sibiu, pour faciliter la présence des supporters de tout le pays, étant donné que la ville est au centre du pays. Les groupes de supporters seront présents en très grand nombre, cela promet des démonstrations intéressantes et spectaculaires dans les tribunes!
Et effectivement, l’ambiance est excellente, avec banderoles, chants incessants, drapeaux et même fumigènes et pétards!
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L’initiative est excellente et la motivation des supporters n’est pas à mettre en cause. Ça, PJ, c’est un sujet à surveiller sur le long terme. Histoire de voir si il n’y a pas d’essoufflement avec le temps.
Si un de ces clubs arrive à rejoindre l’élite roumaine dans les années à venir, le modèle sera à étudier. Si j’ai bien compris ce n’est pas qu’un copier/coller du modèle espagnol, parce que j’aurais tendance à avoir des doutes vu les dérives économiques passée du football ibérique.
J’aimerais en savoir plus sur l’organisation administrative et aussi ce qu’il en est du sportif. Je suppose que ces clubs s’appuient sur la formation…
Pour ceux que ça intéresse, un résumé de cette journée est disponible ici, avec photos et résultats des rencontres. Le Poli s’est plutôt logiquement imposé dans ce tournoi.
Pour revenir à ce que tu dis Stef, il faudra effectivement voir comment ces projets pourront pérenniser. Plusieurs questions se posent, notamment sur la capacité à grandir et à assumer, à terme, un éventuel passage au professionnalisme. Les joueurs ne sont pas payés pour le moment, ils ne reçoivent que des primes. Il faut voir comment ces clubs, qui n’ont pas tous un bassin économique de la taille de celui de Timisoara, s’en sortiront. En espérant que les dirigeants d’associations ne tombent pas dans le piège de la corruption. Il y a pas mal de doutes émis sur ces projets, mais il sera difficile d’y répondre avant une paire d’années, selon la progression sportive des équipes.
Du point de vue sportif, ces équipes bénéficient de leur aura pour « engager » des joueurs de bon niveau. Plusieurs joueurs ont notamment quitté des équipes de L3 voire L2 pour venir au Poli. Leur crédo est qu’en L3, c’est le chaos. Les joueurs ne sont jamais payés comme promis et les dirigeants mentent à tour de bras. Une partie des équipes où il s ont joué ont disparu. Ils n’ont pas hésité à redescendre en L4, quitte à faire des sacrifices financiers, parce qu’ils sont persuadés qu’on leur mentira pas dans ce club. Il y a une certaine confiance dans les interviews que j’ai pu lire. Et il y a l’amour du club. C’est en grande partie ce qui a fait venir deux anciens internationaux: Paul Codrea, qui entraîne, et Alin Stoica, qui y a joué l’an dernier. Dernier point: les supporters. Il y a plus d’ambiance aux matchs du Poli ou du FC Arges quand dans bien des stades de L2. Et il y a une proximité unique avec eux. Tout le monde est dans le même bateau, ça doit être motivant.
Merci PJ, pour ces indications.
J’ai jeté un Å“il aux résultats.
C’était pas mal comme truc. J’ai regardé les trois premiers matchs, il y avait une grosse ambiance. Les vidéos valent le détour.
Petit retour sur cet article pour parler de cette campagne dite « des 2%. » Le Poli Timisoara a publié les premiers chiffres de cette campagne. Cela donne un aperçu intéressant de ce que ça donne pour ce club, qui est le plus suivi des quatre. Le club a annoncé aujourd’hui qu’il avait reçu 678 formulaires, pour un montant total d’environ 10 000 euros. Un montant important pour une équipe de L4.
Sur le plan sportif, le championnat reprend ce week-end, et le Poli est pour le moment bien placé pour la promotion. On suivra ça bien évidemment.
C’est un début… Je m’attendais à un peu plus que ça, mais c’est un début. A mon avis, peut-être que si les résultats sportifs évoluent positivement on assistera à une augmentation des formulaires 2%.
A suivre.