Un journaliste azéri tué pour avoir critiqué un joueur

GabalafkL’Azerbaïdjan est un pays dangereux pour les journalistes. Comme l’indique de Comité de Protection des Journalistes, pas moins de cinq journalistes ont été tués depuis 1992. Une sanction ultime pour ceux qui ne suivent pas la voie tracée par un régime verrouillant tout organe de presse. Rasim Aliyev s’est ajouté à la liste ce week-end. Reporter freelance, Aliyev a notamment travaillé au sein de l’Institut pour la Liberté et la Sécurité des Reporters, un organe fermé depuis, sous la pression du gouvernement. Cette semaine, ce journaliste a eu l’outrecuidance de critiquer ouvertement les agissements « politiques » d’un joueur sur un terrain d’Europa League. Il en a perdu la vie, tué samedi par les coups d’inconnus.

Jeudi dernier, le FK Qabala recevait l’Apollon Limassol en match retour du 3e tour préliminaire d’Europa League. Un match que les partenaires de George Florescu, Oleksiy Gai et Ermin Zec remportent 1-0 grâce à un penalty marqué par Javid Huseynov. Une victoire qui qualifie le club de Qabala pour les play-offs de la compétition. Dans la joie qui suit la victoire, Huseynov brandit sur la pelouse un drapeau de la Turquie, pays ennemi des Chypriotes grecs de Limassol, dont l’Azerbaïdjan est un allié proche. Un comportement que le journaliste ne cautionne pas, comme il l’écrit ensuite sur son compte Facebook (relayée par l’OCCRP): « Je ne veux pas que quelqu’un d’aussi amoral, impertinent et incapable de se contrôler me représente sur les terrains de football européens. » Il y condamne également le comportement déplacé de l’avant-centre lors d’une interview d’après-match. Face au journaliste grec qui l’interrogeait sur son geste, Huseynov répond par un mauvais geste de la main en affirmant que la Turquie et l’Azerbaïdjan étaient des pays amis.

Résumé du match rugueux entre Qabala et l’Apollon. Javid Huseynov – passablement excité – et son drapeau sont visibles à la fin de la vidéo.

Deux jours plus tard, Rasim Aliyev est très sévèrement battu. C’est Azadliq Radio, le bureau local de Radio Free Europe, qui raconte la suite. Sur son lit d’hôpital, Aliyev a pu raconter à une chaîne de télévision ce qu’il lui était arrivé suite à sa prise de position. « Après que j’aie posté mon message, j’ai reçu un coup de téléphone d’un cousin du joueur, raconte le journaliste. Il m’a hurlé dessus. Le joueur m’a ensuite lui-même appelé pour me dire qu’il ne voulait pas offenser journaliste grec, et seulement souligner les liens entre notre pays et la Turquie. Peu après, son cousin m’a appelé de nouveau. Il a présenté ses excuses pour son comportement un peu plus tôt et m’a dit que Javid suggérait de boire le thé ensemble pour en discuter. Je lui ai dit que ce n’était pas nécessaire mais il a insisté, j’ai donc fini par accepter. En arrivant avec ma voiture, je l’ai aperçu de loin. Mais en sortant pour lui serrer la main, j’ai reçu un énorme coup sur l’oreille gauche. Je suis tombé au sol, et je n’ai vu ensuite que des jambes qui me tapaient sur tout le corps. Il y avait six personnes. Ca a duré 30-40 secondes, puis ils ont fui dans différentes directions. » Arrivé à l’hôpital avec quatre côtes cassées un poumon et la rate endommagés et des difficultés à entendre de l’oreille gauche, Rasim Aliyev a subit une lourde opération chirurgicale. Sans succès. Son état a rapidement empiré dans la nuit suivante, et il décède dimanche matin d’une importante hémorragie interne.

Rasim Aliyev hôpital

Rasim Aliyev sur son lit d’hôpital. (Photo Azadliq.org)

Rapidement ouverte, l’enquête sur sa mort a rapidement atteint les plus hautes sphères de l’Etat azéri. Le Président Ilham Aliyev a « mis l’enquête sous son contrôle personnel » selon les mots de son adjoint aux Affaires publiques et politiques. Le cousin du joueur a été entendu par la police, mais les auteurs de l’agression n’ont toujours pas été identifiés. Et si la responsabilité de Javid Huseynov n’a pas été établie, ce dernier a d’ores et déjà été arrêté et emprisonné pour une durée de trois mois, et a été suspendu par son club: « Personne n’a le droit de menacer ni d’utiliser la violence contre quelqu’un, et notre club a toujours été à l’avant-garde de ces principes, en condamnant fermement tout type de violence et d’agression, écrit le FK Qabala dans un communiqué diffusé sur son site internet. (…) Nous regrettons profondément que le nom de Javid Huseynov soit engagé dans cette affaire de meurtre. Nous espérons que les personnes coupables d’avoir perpétré cet acte seront rapidement déférées devant la justice et recevront la sanction qu’elles méritent. Ainsi, malgré l’importance qu’il a en tant que joueur pour notre équipe, Javid Huseynov a été mis à l’écart de l’équipe jusqu’à ce que de nouveaux éléments soient apportés à l’affaire.« 

Enterrement Aliyev

L’enterrement de Rasim Aliyev. (Photo Azadliq.org)

Huseynov n’a ainsi pas participé à l’affiche qui opposait ce soir Qabala au FK Qarabag (2-2), les deux dernières équipes azéries encore en lice pour les play-offs d’Europa League. Opposé au Panathinaikos, le FK Qabala recevra donc les Grecs sans son avant-centre le 20 août prochain. En attendant de savoir si ce dernier sera mis en cause dans l’enquête sur cette sombre affaire…

 
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[...] en premier lieu lorsqu’on évoque le nom du club.En effet, comme l’a notamment relayé l’excellent Parlonsfoot, nous apprenions la semaine passée le tragique décès du journaliste Ralim Aliyev. Ce dernier a [...]

Pingback par Qäbälä proche de l'exploit - Footballski, 20.08.2015 à 10h15   | Citer

[...] effet, comme l’a notamment relayé l’excellent Parlonsfoot, nous apprenions la semaine passée le tragique décès du journaliste Ralim Aliyev. Ce dernier a [...]

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